mercredi 28 décembre 2016

Agatha Christie : Dix petits nègres.

En 1939, l'Europe est au bord de la guerre. Dix personnes n'ayant aucun point commun entre elles se retrouvent sur l'île du Soldat sous le prétexte d'invitations ou d'offres d'emplois : le général John Macarthur, Véra Claythorne, Emily Brent, le juge Lawrence Wargrave, Philip Lombard, le docteur Edward Armstrong, Henry Blore, Anthony Marston, Thomas et Ethel Rogers. Isolés du continent par une tempête, leurs hôtes Mr et Mrs A. N. O'Nyme mystérieusement absents, les invités et domestiques se voient chacun accusés de meurtre. Ils sont alors tués l'un après l'autre, d'une façon qui rappelle les couplets d'une comptine affichée dans chaque chambre. 

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Si vous partez du principe que vous n'avez pas de temps à accorder à une nouvelle série, voilà mon argument majeur : c'est une mini-série, composée de trois épisodes d'une heure, alors me sortez pas cette excuse toute moisie pour passer à côté de ce petit bijou britannique. 

Il y a un bon paquet d'années maintenant, on m'avait imposé Les dix petits nègres en classe de cinquième, et je n'avais pas réussi à en dépasser la moitié. A présent, je suis contente d'avoir pu sortir cette histoire de mes inachevés. Adapté de la célébrissime nouvelle d'Agatha Christie, qui fait référence au titre d'une comptine anglaise pour enfants, les "petits nègres" ont pourtant été remplacés continuellement par des "petits soldats" en VF, peut-être par souci du politiquement correct. La comptine est-elle différemment traduite selon les langues ? C'est un peu bizarre, mais au delà de ça, le reste est extraordinaire. L'ambiance est plombée, très réussie, et j'ai aimé l'idée que chacun des protagonistes représente une institution : la religion, la justice, l'armée, la police, l'éducation, la médecine. Chacune étant toujours illustrée par une personne très particulière, mystérieuse ou folle à lier. Le mystère plane sur la véritable raison de leur présence, et finalement celui qui s'attire les foudres des autres est le seul à admettre, sans sourciller, ce dont on l'accuse ; son honnêteté le rendrait presque plus sympathique que les autres. Tous choqués par l'immoralité de Philippe Lombard, qui assume ses crimes sans problème, ils se décident alors à quitter l'île. Mais aucun moyen n'existant (mis à part nager dans les eaux profondes et mourir), ils se résignent tous à leur triste sort, alors que le premier meurtre se produit.

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Alors bon, on connait la chanson : un personnage est tué, une statuette disparaît, et ce jusqu'à ce que la maison soit totalement vide. L'originalité ne réside pas vraiment dans la mise en scène, mais dans le sens du détail étonnant pour un format court. Dès les premières minutes, on entre directement dans le vif du sujet, les choses s'enchaînent assez rapidement pour se focaliser sur l'aspect psychologique du récit. Certains se mettent vite à friser l'hystérie, n'arrivant plus à supporter la situation ; d'autres gardent leur calme et attendent sagement ; d'autres encore se mettent en tête de farfouiller dans les chambres et de ne laisser personne à l'écart du groupe. Il ne se passe pas grand chose en soi, mais le focus sur les réactions de chacun m'a plu, là où ça pourrait être soporifique pour d'autres. Vent, pluie, tempête et orages violents renforcent la sensation d'oppression, d'autant que les souvenirs reviennent et s'imposent peu à peu à chacun, qui se trouve alors face à sa conscience. On a ici des flashbacks vraiment magnifiques, utilisant un peu le même procédé que Dolores Claiborne (réalité sombre, passé flamboyant de mille couleurs), et moi j'adore.

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Comme je m'y attendais, le casting est aux petits oignons. On a les valeurs sûres (Charles Dance), ceux qu'on est ravis de retrouver (Burn Gorman et  Noah Taylor, aperçus également dans Game of Thrones), ou les acteurs plus méconnus qu'on découvre, mais peu importe au fond, car tout le monde livre une prestation solide. Il n'y a aucune fausse note. Chacun m'ont montré des facettes peu connues de leur registre, ce qui m'a donné envie d'en découvrir plus sur leur filmographie (Charles Dance qui sourit, j'exagère volontairement mais c'est l'idée, et le monologue de Burn Gorman qui nous émeut en parlant de son jardin qu'il ne risque pas de revoir). Tout est excellent ici : les acteurs, l'histoire, les décors, les costumes, le rythme, l'ambiance ... Modernité et esthétique d'époque se mélangent parfaitement. Peut être un bon moyen pour qui ne connaît pas l'oeuvre d'Agatha Christie (ou ne l'a pas appréciée auparavant), d'y venir. Je pense que la série peut combler aussi bien ceux qui découvrent que ceux qui connaissent déjà, tant l'ensemble nous embarque jusqu'à la toute dernière minute. Je chipote assez souvent en ce qui concerne les films ou séries de manière générale (surtout ce qui passe sur TF1, d'ailleurs), mais je dois dire que Dix petits nègres est un sans faute pour moi. Mon plus gros coup de cœur télévisuel de l'année.

samedi 24 décembre 2016

Tag : "Vous et les livres".

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Ce n'est pas forcément très intéressant pour le lecteur lambda, je suis bien d'accord, mais ça reste tout de même dans le thème de Noël, puisque les livres ont toujours été THE idée cadeau parfaite pour moi. Quand j'étais préado et que je devenais trop grande pour les poupées mais encore trop petite pour gérer plein de sous, ma famille se rabattait toujours sur la littérature. Tout le monde était toujours sûr de me faire plaisir et de ne pas rater son effet. 


1. Quel est l'endroit où tu préfères lire ?
De manière générale, j'aime lire au lit, de jour comme de nuit. Au chaud sous la couette, avec un océan d'oreillers et la pluie qui s'écrase contre la vitre, ce serait vraiment l'idéal.

2. Tu peux t'arrêter de lire où tu veux, ou tu finis toujours ton chapitre avant ?
Les seules fois où j'ai continué systématiquement jusqu'au chapitre suivant, c'était quand j'étais petite et que j'essayais de gagner du temps avant l'extinction des feux. Actuellement, j'arrête ma lecture n'importe où, au moment où je me dis que c'est fini pour aujourd'hui, et je n'ai aucun mal pour reprendre là où j'en étais. 

3. Multi-tâches : musique ou télévision en lisant ?
Ni l'un ni l'autre. Le silence me plonge encore plus dans l'atmosphère du récit.

4. Un livre à la fois ou plusieurs ?
Pour moi, c'est un seul livre à la fois. Quand j'en prends un, j'aime me concentrer sur lui et uniquement sur lui. J'ai jamais eu envie de lire plusieurs livres en même temps, pour moi c'est l'un à la suite de l'autre.

5. Lire à la maison ou ailleurs ?
Lire partout, quelle question. Il n'y a qu'à la plage que je n'aime pas lire, mais c'est parce que j'adore l'eau et que je préfère passer mon temps à barboter. J'arrive à faire abstraction de tout, même si j'ai toujours préféré lire chez moi.

6. Lis-tu à voix haute ou en silence dans ta tête ?
En silence, toujours. Pour moi, lire est une activité qui se fait seul, essentiellement. Je trouve qu'il y a des choses qui sont beaucoup plus drôles et plus intenses quand on ne les partage pas, on s'imprègne mieux de l'univers dans lequel on est plongé. En lisant à voix haute, j'ai toujours pensé qu'on était plus concentré sur les mots en eux-mêmes que sur ce qu'ils décrivent.

7. Est-ce que tu sautes parfois des pages ? Est-ce que tu regardes la fin du livre ?
Ça m'arrivait très souvent lorsque j'étais ado et que j'étais inquiète pour le futur d'un personnage que j'aimais, je feuilletais rapidement plusieurs chapitres pour vérifier qu'il était toujours là. Maintenant, quand j'achète un livre, c'est pour le lire du début à la fin, dans l'ordre, pas pour passer quelques chapitres, sauf cas de force majeure (je n'ai jamais pu lire en entier la scène de viol de Lisbeth Salander dans Millénium, c'était vraiment trop dérangeant pour moi, tout comme je n'ai jamais pu la regarder dans l'adaptation non plus). Quant à zyeuter la fin d'un roman, à quoi ça sert de le continuer si on en connaît déjà le dénouement ?

8. Casser la tranche ou la garder intacte ?
Autant que possible, j'essaie de la garder intacte, mais quand un bouquin me plait au point de le lire plusieurs fois, elle finit par se casser. Ce qui ne me dérange pas trop, au final. Un livre abîmé d'avoir été trop lu, c'est un livre qui a autant de vécu qu'un compagnon de route, à mon sens. Chaque marque sur mes bouquins est une preuve de l'amour que je leur ai porté. Cela dit, quand je trouve des livres tâchés ou des feuilles gondolées, ça me rend malade (spéciale dédicace aux bibliothèques municipales).

9. Est-ce que tu écris dans tes livres ?
Les gens qui écrivent dans leurs livres sont des monstres. Je suis indulgente avec les collégiens qui massacrent leurs grands classiques de poche à coups de Stabilo, mais rien ne m'énerve davantage que de voir un livre sur lequel des gens ont écrit. La seule personne que j'autorise à écrire dedans, c'est son auteur pour me le dédicacer.

10. Plutôt corne ou marque-page ?
Marque-page. Corner sa page est une manière d'abîmer son livre, au même titre que de gribouiller dedans.

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11- As-tu déjà pensé à écrire un livre ?
Mon rêve était de devenir écrivain. Petite, je passais de nombreuses heures à écrire des histoires, sans réel scénario, juste par besoin d'extérioriser ce que mon imagination me dictait. Depuis, j'ai l'impression d'avoir énormément lu en compensation, au point de ne pas réussir à créer un univers qui m'est propre.

12 - Que penses-tu des livres en plusieurs tomes ?
Grande amatrice de séries, je serais bien en peine d'en dire du mal. Quand on aime vraiment les personnages, on a envie de ne jamais les quitter. Si l'histoire vaut le coup, ça ne me dérange pas du tout, bien au contraire : c'est même un plus. 

13 - Comment choisis-tu tes livres ?
Je fonctionne beaucoup au coup de cœur. Parfois c'est le titre, parfois la couverture, plus rarement le résumé. 

14 - Une lecture inavouable ?
J'ai lu les premiers tomes de Fifty Shades et Twilight, je ne suis fière d'aucune de ces lectures, mais je reste persuadée qu'il faut se sacrifier avant d'être sûr de ne pas aimer. Donc maintenant, je suis sûre à 100% que je n'aime ni l'une ni l'autre de ces sagas, c'est déjà une bonne chose de faite.

15 - As-tu déjà abandonné un livre ?
Oui, même si je finis la plupart de ceux que je commence. Je m'impose de toujours lire les cinq premiers chapitres, et si passé ce délai la sauce n'a pas pris, j'abandonne. Le monde est rempli d'histoires merveilleuses qui me feront voyager, et ma vie est trop courte pour persister et m'acharner sur un auteur dont le style m'évoque plus une purge qu'un divertissement.

16 - Préfères-tu quand le personnage principal est un homme ou une femme ?
Honnêtement, je m'en fous totalement. A partir du moment où le personnage est accrocheur, qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme a peu d'importance.

17 - La couverture d'un livre peut-elle influencer ton choix de lecture ?
Les couvertures influencent peut-être à moitié mon choix, surtout quand elles sont moches. C'est hélas le cas de beaucoup de livres classés Science-Fiction ou Fantastique, souvent elles sont juste horribles et n'ont jamais réussi à me motiver. Quand je ne connais pas un auteur, je me fie plus à la couverture qu'à autre chose, sûrement à tort.

18 - L'éditeur peut-il influencer tes choix ?
Honnêtement, j'aurais tendance à dire non, mais les couvertures d'Acte Noir m'ont poussé à lire et découvrir tout un groupe d'auteurs que je n'aurais jamais découvert sans ça. Du coup, finalement, si, ça peut influencer mes choix, mais c'est pas ce que je regarderais en premier, disons.

19 - Les citations à propos de la lecture qui t'inspirent le plus ?
• "Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux." (Jules Renard)
• "Un lecteur vit un millier de vies avant de mourir. Celui qui ne lit pas n'en vit qu'une." (George R.R. Martin)
• "Dans la lecture, l'homme qui se cherche lui-même à quelque chance de se rencontrer." (Georges Duhamel)
• "L'écriture ne m'a pas sauvé la vie, mais elle a continué à faire ce qu'elle avait toujours fait pour moi : rendre ma vie plus lumineuse et plus agréable. Écrire n'a rien à voir avec gagner de l'argent, devenir célèbre, draguer les filles ou se faire des amis. En fin de compte, écrire revient à enrichir la vie de ceux qui liront vos ouvrages, mais aussi à enrichir votre propre vie. C'est se tenir debout, aller mieux, surmonter les difficultés. Et faire qu'on soit heureux, d'accord ? Oui, faire qu'on soit heureux." (Stephen King)

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vendredi 23 décembre 2016

Still Alice, ce film qui fout les boules bien comme il faut.

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Prof renommée à l'université de Columbia, Alice est spécialiste en linguistique, a enseigné dans le monde entier, est mariée à un homme aimant et a trois grands enfants. Alors qu'elle fait face à des pertes de mémoire de plus en plus importantes, elle passe quelques examens médicaux pour se rassurer, mais le verdict tombe : Alice souffre d'une forme héréditaire et précoce de la maladie d’Alzheimer. Cette femme si indépendante, si intelligente, si douée pour communiquer va se voir décliner peu à peu. J'ai mis du temps à voir ce film à cause du thème qui ne me tentait que moyennement, je craignais qu'il ne tombe un peu trop dans le pathos grand public plein de bons sentiments niaiseux, ce qui n'est vraiment pas ma tasse de thé. Mais comme il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, j'ai finalement trouvé que Still Alice était un film très émouvant et authentique.

Julianne Moore est absolument superbe dans ce rôle (elle a raflé pas mal de récompenses pour son interprétation, et ça se comprend). Superbe d'abord par ses expressions : pas de visage figé, une interprétation magistrale, une beauté naturelle, et ce n'est pas désagréable comparé à toutes les Botox Faces qu'on peut voir de plus en plus à l'écran. Mais surtout superbe par son jeu : elle est complètement habitée par le rôle de cette femme battante qui commence à tout perdre. On traverse avec elle l'espoir, puis la fatalité, et on se rend compte (si on ne le savait pas déjà) que la vie est une garce bien injuste. Imaginez qu'on vous annonce du jour au lendemain que vous allez perdre toutes vos facultés intellectuelles, tout votre avenir, tout votre sens de la réalité. Que vous allez perdre toute votre vie, que ça ira pas en s'arrangeant et qu'il n'y a aucun traitement. Sa fille aînée passera d'ailleurs un examen médical qui attestera qu'elle est également porteuse de la maladie. Super héritage ! Tout semble très juste dans ce film, sa réaction face à l'annonce, ses rapports avec son mari, avec son travail, les relations entre ses enfants, et la façon dont son entourage (totalement dépassé) se comporte à mesure que la maladie progresse.

Pour l'accompagner, on retrouve Alec Baldwin, que je n'ai pas vu dans beaucoup de films, mais que j'apprécie à chaque fois. Il joue très bien le rôle du mari qui soutient sa femme, mais qui doit aussi continuer à vivre et à penser un peu à lui. 

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Là où le bât blesse un peu, c'est surtout du côté de leurs deux filles. Il y a d'abord Kristen-Bella-Stewart. Depuis Twilight, j'ai l'impression qu'elle ne sait jouer que d'une seule manière. Elle fait partie de ces acteurs qui ont tout le temps la même gestuelle, les mêmes styles de personnages, et je trouve que c'est un peu lassant. Que ce soit dans Twilight, The Runaways, Into the Wild ou Still Alice, elle campe une ado en colère, rebelle et boudeuse, qui n'a qu'une seule expression faciale déclinable à l'infini. Ça ferait vraiment du bien de la voir dans un autre registre, c'est un peu son boulot, quand même. Cela dit, j'ai quand même beaucoup apprécié leur relation mère/fille : Lydia est la seule personne qui conserve des rapports directs avec Alice, qui ne change rien à son comportement. Enfin, je terminerai par Kate Bosworth, qui est à peu près aussi pathétique ici que dans Illusions (mais si vous savez, ce faux remake pourri de Misery), donc je n'ai pas grand chose à en dire. Hautaine, bourgeoise et archétype de la gamine trop gâtée, son rôle très cliché dessert un peu le film, pourtant très bon dans l'ensemble.

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Malgré un sujet lourd, Still Alice nous parle d'abord des plaisirs de la vie. Alice elle-même insiste bien là-dessus : elle a eu une vie épanouissante, pleine de joie et de bonnes surprises. Au delà de ça, on se retrouve aussi à penser à toutes les personnes (âgées ou pas) atteintes de la maladie, casés dans des mouroirs et complètement abandonnées… La réalité frappe vraiment ici, le film ne ressemble plus à une simple fiction, et c'est pour cette raison qu'il touche en plein cœur. 

mardi 13 décembre 2016

Loin de la lumière.

[Fanfiction inspirée de l'épisode final de la saison 4 de GoT.]

Juché sur les remparts de la forteresse, il scrutait attentivement l'obscurité, tous les sens en alerte. S'il avait déjà mené ce genre de rondes solitaires par le passé, aucune ne l'avait jamais rendu aussi nerveux. Lorsque les derniers chants s'étaient tus et que les intendants s'étaient éloignés, il avait peaufiné les derniers détails de leur évasion. Cela faisait des mois que loyauté et intégrité livraient une lutte acharnée en lui, ne lui laissant que peu d'énergie pour préparer son plan. Il devait tout à l'homme qu'il s'apprêtait à trahir, mais au fond de lui, il prenait peu à peu conscience que celui-ci était devenu un parfait étranger. Il n'avait plus aucun trait commun avec l'honorable guerrier à qui il avait juré fidélité, sur cette plage déserte et affamée. A quoi rimait alors d'être fidèle à un mirage, à une époque révolue, lorsqu'on en perdait jusqu'à sa propre humanité ? Le jeu du Trône de Fer, avec son lot de duperies et de trahisons, valait-il à ce point que l'on sacrifie des innocents ? Tout à ses pensées, il réalisa que cet acte de félonie mûrissait en lui depuis plus longtemps qu'il n'aurait voulu se l'avouer.

Longeant l'immense bâtisse, il se glissa discrètement dans le couloir central, essayant surtout de ne pas se faire entendre de la femme qui occupait la chambre du fond. Il ne comptait pas sur les nombreuses visites nocturnes qu'elle recevait pour la distraire, rien ne pouvait dissiper une âme aussi dangereuse et malfaisante. S'il se savait plutôt malin, il n'ignorait pas qu'elle l'était encore bien plus que lui. C'était sa force : même au plus fort de la tempête, il avait toujours gardé cette lucidité sur les humains qui l'entouraient. Au loin, il entendit quelques Corbeaux entonner une chanson paillarde démodée, et s'arrêta quelques secondes avant de reprendre sa silencieuse procession. La chambre de la fillette était intercalée entre celle de ses parents et celle de cette femme détestable ; sans doute pour lui imposer un meilleur couvre-feu. A peine eût-il poussé la porte qu'il aperçut la jeune fille enroulée dans son drap d'appoint sali, dormant à poings fermés, souriant presque dans son sommeil. Il se sentit soudain ému par tant d'innocence et de douceur, comme il l'avait été lorsqu'il s'endormait auprès de son propre fils, des années auparavant. Cette petite était une merveille de bonté et de générosité, bien plus que ses deux parents ne le seraient jamais. Il aurait donné sa vie entière pour qu'il ne lui arrive pas malheur, mais elle risquait pourtant de connaître bien des tourments si la femme impie s'intéressait un peu trop à elle. Il l'avait entendu chuchoter entre deux portes qu'elle pourrait être utile au moment venu, et cela ne lui disait rien qui vaille. Il fallait donc faire vite et ne pas se laisser aller au sentimentalisme dans l'immédiat. Il s'approcha du lit et secoua doucement le bras de la fillette, qui faillit pousser un cri de surprise avant qu'il ne pose sa main gantée sur sa bouche. Lorsqu'elle le reconnut, elle se tranquillisa instantanément. Il relâcha son étreinte et elle lui adressa un sourire chaleureux. Avant qu'elle ne put le questionner sur ce réveil brutal, il lui donna un semblant d'explication, chuchotant à son oreille : "Ton père m'a demandé de te conduire hors de la forteresse, je te raconterai tout ça en route, mais pour l'instant tu dois être discrète. Il n'en a parlé à personne et m'a envoyé seul." Cette invention parut satisfaire la fillette, qui sauta de sa couche et commença à se préparer.


"Ça y est, je suis prête !", murmura-t-elle à l'intention de son compagnon d'infortune, qui s'était détourné pendant qu'elle enfilait ses haillons. Il appréhendait cette partie de l'opération et son ventre se tordit à l'idée qu'ils se fassent repérer, arpentant les grands couloirs de pierre au pas de course. Il prit la peluche et le livre favori de sa protégée, en guise de consolation, et les fourra à la hâte dans sa besace. Après lui avoir rappelé de ne réveiller personne, il la laissa passer devant lui et referma la porte de la chambre. Le sol craqua légèrement et il se figea, tremblant, alors que la jeune demoiselle continuait sa marche silencieuse. Elle semblait ne rien avoir entendu, mais qu'en serait-il des autres ? Il tendit l'oreille, mais ne perçut aucun bruit, à part l'infime sifflement de sa respiration saccadée. Ils longèrent l'intérieur de la bâtisse durant cinq bonnes minutes, puis descendirent l'étroit escalier d'un pas lent et mal assuré. Ils se retrouvèrent bientôt dans la cour, les rafales de vent leur giflant le visage, endoloris par le froid, mais libres. Ils avaient réussi. L'homme poussa un soupir de soulagement et la fillette se tourna vers lui, intriguée. Elle ne fit cependant aucun commentaire et se contenta de le suivre en direction du cheval qui, manifestement, les attendait. La silhouette élancée de l'animal se découpait dans l'obscurité, chargée d'un sac en toile sur le flanc gauche. Il se hâta d'en défaire le cordon et en sortit une petite tunique noire agrémentée d'une capuche. Celle-ci avait été cousue quelques jours plus tôt par une jeune femme de la forteresse, la seule qu'on pouvait y trouver d'ailleurs. Pour quelque obscure raison, elle vivait ici avec son bébé et avait obtenu les bonnes grâces de la Garde de Nuit. Il lui avait commandé cette cape pour l'anniversaire de la fillette, avait-il dit, et lui avait donné quelques pièces d'or en échange pour nourrir son fils. Une femme très attachante et courageuse, qui avait fui le grand Nord. Vera, elle s'appelait. Du moins, c'était ce qui lui semblait. Le visage de la gamine s'illumina : "Un cadeau pour moi ?". Il s'émerveillait à chaque fois de sa gratitude, elle qui avait grandi dans une noble famille. Quoiqu'elle n'eût jamais reçu beaucoup de présents de la part de ses parents, qui l'avaient toujours cachée et enfermée à double tour dans une chambre de bonne. Elle enfila son nouveau vêtement, et il rabattit la capuche sur le visage de la fillette. Ils ne pourraient pas passer inaperçus s'ils voyageaient à découvert. Surtout elle.

Lorsqu'ils furent tous deux installés sur la monture, il jeta un dernier inquiet en direction de Châteaunoir. La forteresse était toujours inanimée, silencieuse et sombre. Le danger ne les rattraperait pas dans l'immédiat. Alors qu'il lança son cheval au galop, la jeune fille éclata d'un rire surpris, avant de s'en excuser aussitôt. "C'est que ... je ne sors pas beaucoup et j'ai toujours rêvé de monter à cheval." A ce moment là, elle avait déjà totalement oublié la perspective de retrouver son père hors de la forteresse, tant elle avait la sensation de s'amuser pour la première fois. Cette escapade nocturne, cette promenade à la sauvette, c'était plus qu'elle n'aurait jamais pu imaginer. Il la rassura d'une caresse sur la joue, celle que personne n'avait jamais osé toucher. Mais Davos n'était pas effrayé par le visage difforme de Shireen Barathéon, ce visage qui lui avait valu toutes les disgrâces de sa mère. Lui-même avait côtoyé des marmots galeux dans les ruelles de Culputier, des enfants sales et miséreux, des consanguins, des orphelins abandonnés. Il avait grandi avec eux, avait espéré avec eux, fixant de ses yeux circonspects le Donjon Rouge qui se dressait non loin, de toute son immensité. En ce temps là, il se jurait de ne jamais être avide, de ne jamais se trahir, de ne jamais être mêlé aux grands de ce monde, de quelque manière que ce soit. Avec le recul, il se rendait compte qu'il n'avait jamais vécu de meilleures années que celles-là, entouré de tous ces gamins brisés et insouciants. Qu'avait-il perdu d'autre encore que son intégrité, durant toutes ces années au service de Stannis ? Il y avait laissé son propre fils, qu'il avait entraîné aveuglément à l'avant-garde lors de la bataille de la Néra. Pour cela, il s'en rendrait coupable à jamais, mais il avait choisi d'expier ses fautes. S'il ne pouvait pas ramener son fils à la vie, il pouvait encore aider ceux qui étaient pris au piège de Melisandre. Il n'avait pas hésité à sauver Gendry une première fois ; il sauvait désormais Shireen, la fille unique de Stannis, lequel était capable de la sacrifier pour cette vieillerie en fer forgé qui régnait sur les Sept Couronnes. Au fond de lui, Davos l'avait toujours su. Tout comme il savait qu'il ne pourrait pas continuer très longtemps sa route avec elle. A l'idée de s'en séparer, il éprouvait une profonde tristesse, mais ce n'était qu'une question de temps avant qu'on ne le retrouve et qu'on ne le brûle pour contenter le Dieu de la Lumière. Il lui faudrait trouver un endroit sûr pour Shireen, où jamais la Femme Rouge et Stannis ne penseraient la trouver. Cette évidence le torturait et il ressentait cette douleur sourde désormais familière : celle de perdre, encore une fois, un enfant. Sauf que celui-ci était en vie, et le serait encore jusqu'au prochain été, si tout se déroulait comme prévu.

La fillette sembla comprendre le trouble de Davos, et serra sa main amputée dans la sienne. Ils progressaient dans l'obscurité béante, avec la lune comme seule boussole, lorsque Shireen rompit le silence : "Merci Chevalier Oignon ... Vous n'imaginez pas à quel point c'est le plus beau jour de ma vie."

Elle ne croyait pas si bien dire.