lundi 26 octobre 2015

Hannibal, ce léger risque d'indigestion.

Voilà, chers lecteurs et lectrices, il y avait déjà quelques semaines que ce nouvel article faisait son chemin sans que je ne le concrétise, ce qui est désormais chose faite. (D'ailleurs, lorsque vous prononcez le mot "lecteur", cela ne vous fait jamais penser à "Lecter", vous ? Non ? Euh d'accord, très bien, passons.) Il est clair que je m'attendais à tout autre chose de cette série s'inspirant de Dragon Rouge, le premier volet des aventures d'Hannibal, et à l'heure actuelle je ne sais toujours pas quoi en penser concrètement. Pourtant, le menu que proposait le célèbre psychiatre cannibale avait tout pour être alléchant. Du moins, au premier coup d'oeil.

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Le nom du personnage phare, Hannibal Lecter, donne en lui-même envie, tant il reste associé à l'un des plus charismatiques méchants de l'histoire du cinéma. Pour mettre encore plus l'eau à la bouche, on rajoute le nom de Mads Mikkelsen en tant qu'interprète. Un acteur au charisme phénoménal dans la peau d'un personnage au charisme phénoménal. On tient là une équipe qui gagne. Pourtant, dès que je suis rentrée un peu plus dans le vif du sujet, je me suis aperçue bien vite que les mérites de cette série étaient loin d'avoir sur moi l'effet escompté. Dès les premiers épisodes, le scénario va tâtonner, chercher son terrain, brouiller les pistes pour nous tenir en haleine. Ce qui donne une première saison vraiment très inégale, qui se contentera pendant de nombreux épisodes de plusieurs meurtres et leur résolution (ou non), et de l'avancement d'une enquête. On oscille alors entre une intrigue qui sert de fil rouge (Le Chesapeake Ripper), et d'autres petites histoires qui aliment d'autres petits épisodes et ne feront rien avancer du tout. Le problème, c'est que si j'ai commencé par m'intéresser un peu à tous les éléments au début, j'ai rapidement fini par ne m'intéresser qu'aux intrigues étant directement liées à Hannibal Lecter. Puisque c'est lui notre personnage principal, lui que nous voulons suivre, apprendre à redécouvrir via cette préquelle, lui que le titre même de la série nous vante. Après tout, c'était ça que nous avait promis la production ! Pour moi, on s'inscrit donc très clairement dans du remplissage la moitié du temps. Pire, les intrigues proposées sont souvent tirées par les cheveux et sont donc assez peu crédibles, ce qui m'amène à les regarder d'un oeil distrait, sans vraiment les voir, attendant impatiemment de passer à l'épisode suivant. Et ainsi de suite. Les redites sont nombreuses, Hugh Dancy campe un Graham assez exceptionnel mais, c'est là tout le souci, volant la vedette à ce qui était mis en avant par les scénaristes : Hannibal made in Mikkelsen. A tel point que je me suis parfois demandé ce qu'il faisait là. Par moment, le charme reprend, avec une réplique bien sentie ou une scène le mettant enfin en avant, mais ce n'est que peu. Au terme de ce huitième épisode, la série semble légèrement s'axer sur la relation entre Hannibal et Will Graham, mais bien trop timidement à mon goût : c'est là le cœur de la série, et quand l'intrigue se fixera dessus (si elle s'y fixe un jour) on pourrait bien avoir des scènes très mémorables. Mais ce n'est pas encore ça.

Cela dit, je dois bien reconnaître que l'atmosphère glauque au possible est largement réussie. L'ambiance visuelle et sonore est absolument magnifique. 

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Malheureusement, l'esthétique est d'ailleurs le seul vrai gage de qualité de l'ensemble des épisodes, ce qui est en soi un peu pâlot à la longue. C'est beau, léché, soigné, pervers, mais aussi parfois vide et inutile, surtout lorsqu'il s'agit d'empiler un psychopathe et deux ou trois scènes gratuitement gores par épisode, je n'en vois absolument pas l'intérêt. La simplicité n'a parfois pas que des désavantages (cf ce que je vous racontais à propos de The Mentalist), et l'esthétisme ne peut pas tout rattraper d'un coup de baguette magique. Au vu de mes attentes, Hannibal est donc une grosse déception pour moi. Je suis d'ailleurs loin d'être certaine que je jetterai un oeil à la seconde saison, même par curiosité.

lundi 12 octobre 2015

Le fameux concert du fameux Hubert-Félix Thiéfaine.

Pour ceux qui me suivent depuis l'époque de mon ancien blog, vous n'êtes pas sans savoir que je voue un quasi-culte à Hubert-Félix Thiéfaine et à ses morceaux tantôt agressifs, tantôt mélancoliques, souvent teintés d'humour noir ou déjanté. Cela faisait désormais presque cinq ans que je souhaitais assister à une de ses représentations sur scène, bavant devant les nombreux extraits de concerts que j'avais pu en voir, me faisant la réflexion que ça devait quand même bien déchirer en direct. Et puis, le 26 décembre dernier, j'ai appris un peu par hasard qu'il se produisait à Tours, au Vinci, pour la sortie de son nouvel album Stratégie de l'inespoir. Ni une ni deux, j'ai réservé ma place au sixième rang pour le 11 octobre. C'est donc avec le plus grand enthousiasme qu'hier soir, je m'y suis rendue, toute surexcitée de réaliser enfin ce rêve de longue haleine.


Je disais ailleurs l'autre jour que je m'intéressais clairement à la scène masculine française (enfin, pas n'importe laquelle non plus), et j'admets tout à fait que ce soit mon truc. J'ai découvert Thiéfaine un peu par hasard, sur l'auto-radio d'une gentille dame qui m'avait prise en stop alors que je partais de chez mes parents de manière plus ou moins anarchique ; je m'étais renseignée sur l'artiste dès mon retour chez moi deux jours après. Par la suite, j'avais découvert assez rapidement la totalité de ses albums, que j'ai rapidement pris le pli d'écouter en boucle jusqu'à m'imprégner de la mélodie ou des textes avec précision. Connaître par coeur la moitié du répertoire s'est d'ailleurs avéré bien utile durant ce concert particulièrement animé.


Cette soirée m'a donc confirmé, si besoin en était, que j'aime énormément Thiéfaine. Il est très agréable de voir la scène représentée autrement que par le prix du billet et un déroulement orchestré au millimètre près. Oui, ceci est une remarque parfaitement généraliste, mais citez-moi plus de cinq artistes qui n'hésitent pas à être parfois dans l'improvisation totale et qui proposent autant de chansons supplémentaires que le public le demande. Vraiment ça fait du bien, vous n'avez pas idée. A ce propos, mention spéciale au manque d'amabilité du personnel du Vinci, m'ayant contrainte de céder mon appareil photo à la consigne sans même un "bonsoir", "s'il vous plaît" ou "bonne soirée" (eh oui, il faut croire que le palais des congrès ne leur refait pas leur éducation) ; sans oublier les vigiles qui rabrouaient systématiquement les spectateurs qui s'agitaient un peu trop sur leur siège au début du spectacle. Tout ceci m'avait passablement enragée et menaçait même de me gâcher un peu le plaisir, mais c'était sans compter sur Thiéfaine lui-même qui, au bout d'un quart d'heure, a demandé à toute la salle de se lever et de chauffer davantage l'ambiance. Et c'est ainsi que j'ai passé la totalité du concert accoudée sur le devant de la scène, juste à côté des enceintes. Autant dire que c'était une vraie tuerie, y compris pour mes oreilles et mes cordes vocales, qui ont été un peu mal en point ce lundi.

On peut raisonnablement dire que les morceaux choisis résumaient plutôt bien la carrière globale de Thiéfaine, les chansons les plus récentes laissant ensuite place à d'autres, plus anciennes, plus méconnues, plus incisives aussi. J'ai eu la bonne surprise d'y redécouvrir des textes que j'apprécie tout particulièrement, et auquel le live a apporté une autre saveur, plus mordante et plus énergique. Ces nouvelles versions ont donc tenu toutes leurs promesses : du bon rock qui tâche, des instants plus mélancoliques, le tout repris par un public au bord de l'hystérie (les tourangeaux n'étant pourtant pas réputés pour leur sens du festif). Et parmi mes petites préférées, nous avons donc eu le droit à :




Comme vous pouvez le constater, nous avons été bien gâtés durant ces 2h30 ininterrompues. Aucune fausseté, jamais, une folie complètement exacerbée et assumée, une originalité qui m'a transcendée tout du long. Du rock incandescent, tranchant et expressif comme j'aime ; une plume parfois révoltée, parfois provocatrice, comme on n'en fait plus vraiment de nos jours. J'ai également été fascinée par la gestuelle assez particulière de Thiéfaine, très marquée, quelquefois un peu étrange, et qui apportait un effet hypnotique supplémentaire à ce qui se déroulait sur scène. Je ne vous cache pas que j'ai été ravie de pouvoir capter tous ces petits détails que je n'aurais pas forcément pu observer de ma place initiale.


J'eus également le plaisir de retrouver dans cette aventure Alice Botté, guitariste et ami de longue date d'Hubert-Félix Thiéfaine. J'avais été transcendée par ses soli interminables durant les live de Bashung (un autre de ses fidèles amis, et un autre de mes chanteurs favoris), et ce fut une très bonne surprise de le retrouver sur scène à quelques mètres de moi, pour profiter pleinement de son talent. J'ai d'ailleurs remarqué une petite similitude entre les orchestrations de Bashung et celles de Thiéfaine, lesquels cultivent ce même côté sombre et ironique, appuyé par la patte assez reconnaissable d'Alice. Celui-ci fut largement ovationné à la fin du concert, tant son énergie folle-dingue irradiait la scène. Le second guitariste qui complétait le trio de tête était le digne fils de Thiéfaine, Lucas, que je n'ai malheureusement pu apercevoir que de loin, puisqu'il se situait à l'autre extrémité du plateau. Ceci dit, cette complicité père/fils très palpable ajoutait un petit bonus à l'ambiance déjà très familiale qui régnait dans la salle entière. J'étais ravie de noter la proximité entre le chanteur et ses instrumentistes, placés directement à côté de lui, et non planqués dans le fond comme lors de la plupart des concerts. Cet ensemble était donc très harmonieux, bien loin de l'idée reçue qui veut que l'artiste renommé éclipse la vedette à ses musiciens. Les interactions avec le public étaient également nombreuses (j'ai trouvé assez fort qu'il se souvienne être passé dans une petite salle de Joué-lès-Tours vingt ans auparavant), ce qui fait que tout à chacun avait véritablement l'impression d'être chez soi, sur une planète à part, presque secrète, simplement partagée le temps d'un concert.


Toute la troupe a fini par nous réserver cinq rappels, et donc cinq chansons supplémentaires pour boucler la soirée, en nous invitant à chanter le morceau que nous souhaitions pour terminer. Si c'est pas génial, ça. Ah vous voulez La fille du coupeur de joint ? Aucun problème. Et puis vous voulez Des adieux en version acoustique ? Très bien, vous l'aurez aussi.


Un grand bravo à Thiéfaine et à toute l'équipe, qui semblaient tous très émus de l'accueil réservé par les jeunes, les moins jeunes, les fans de la première heure et les nouveaux venus. Une belle soirée que je ne risque pas d'oublier de sitôt, et que je risque bien d'avoir envie de revivre à la sortie du prochain album !

mardi 6 octobre 2015

Patrick Jane au pays de l'illusionnisme.

The Mentalist est au moins la cent-millième série basée sur le principe d'une équipe de flics qui résout des enquêtes, "mais c'est pas comme les autres séries parce que l'un des personnages est spécial". Spécial pouvant alors signifier un chien, un ex-criminel, un enfant, un médium, un vampire, un robot, un alien, un nain, un sandwich au tofu, un fantôme, une poule, un texas ranger ou que sais-je encore, le top étant le cumul de qualités, genre une top-model spécialiste en explosifs et en piratage informatique qui sait lire dans les pensées. Ici, Patrick Jane est un mentaliste : c'est un analyste qui utilise un tas de méthodes basées sur l'observation et la psychologie, qui lui permettent de desceller les failles dans le comportement des suspects potentiels. Suite à l'assassinat de sa femme et de sa fille par un serial-killer (Red John), qu'il avait sciemment provoqué devant des millions de téléspectateurs du temps où il se faisait passer pour un médium, il s'engage comme consultant auprès des forces de l'ordre pour pouvoir exécuter sa vengeance personnelle.

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Alors qu'est actuellement diffusée la saison 7, il est de bon ton de vomir sur cette série au sein de la blogosphère. Le reproche qui revient souvent ? C'est bien sûr que ledit mentaliste ait réponse à tout et soit trop bon analyste pour être crédible ; la palme revenant au fameux épisode dans lequel il conduit une voiture les yeux bandés, rien qu'en percevant la nervosité du passager l'accompagnant. Ce qui est du grand n'importe quoi, on est d'accord. On pointe aussi le fait que sans Patrick Jane, le reste de l'équipe semble un peu mou du genou, sans grand intérêt, presque effacée. Pourtant, dans le genre foisonnant des séries policières américaines, The Mentalist n'est certainement pas la plus mauvaise. D'abord, elle se débarrasse de nombreux tics propres au genre : pas de chanson pop pourrie pour conclure les épisodes, pas d'ordinateurs-trouvent-tout émettant des sons improbables, pas d'héroïsme à deux balles et pas de surcharge d'effets spéciaux tout pourris. Le jeu d'acteur est largement correct, même si Simon Baker est largement placé sur le devant de la scène (ce qui n'est pas pour me déplaire, à moi). Mais tout ceci ne serait pas suffisant à en faire une bonne série. Le véritable intérêt réside dans cet anti-héros qui exaspère tant son monde. Par ses réparties insolentes, il égratigne le verni d'amabilité ou de compassion et perce à jour la véritable nature des suspects en recourant à tout un tas de méthodes peu orthodoxes, donnant ainsi un peu de consistance aux personnages secondaires. Jane possède cette faculté de déraper, s'embourber dans des situations les plus cocasses, incarner de multiples névroses et imaginer une infinité de feintes, sans que l'amusement et/ou la curiosité ne retombe. Mais avant tout, il est également un homme de goût : il apprécie Bach, boit du thé à longueur de journée dans une tasse devenue désormais aussi célèbre que son personnage lui-même, voue une passion aux voitures anciennes, déclame des tirades de Shakespeare et fait preuve d'élégance vestimentaire en toutes circonstances. J'éprouve une profonde empathie pour ce personnage brisé, se dissimulant derrière une carapace d'impertinence, railleur comme un enfant. Ce sont la complexité et le dualité de ce personnage qui le rendent si attachants, finalement.

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A vrai dire, le seul gros défaut de cette série selon moi est d'avoir fait traîner en longueur l'enquête sur Red John, qui est revenue durant cinq saisons de manière aléatoire sans jamais se conclure, comme pour rappeler au spectateur qu'il a une bonne raison de regarder la série pour découvrir la carotte au bout. Il est clair que les producteurs ont tendance à vouloir nous retenir en otage pour faire durer le plaisir, alors que l'intrigue principale aurait pu s'achever en deux saisons, trois peut-être. Néanmoins, The Mentalist a tout de même réussi à m'embarquer jusqu'à cet ultime saison, au gré de ses personnages attachants, de ses enquêtes qui fascinent et amusent, de bons acteurs, d'une BO discrète et agréable, d'un mélange d'humour et de drame, d'un bon compromis entre légèreté et psychologie. Lorsqu'on prend The Mentalist pour ce qu'il est, à savoir une série avec laquelle on ne se prend pas la tête, il reste un divertissement honnête. L'ironie, c'est que quand le vilain monsieur s'avère être médecin dans un service de diagnostic improbable, tout le monde trouve ça génial (moi y compris), alors que si c'est un consultant qui résout des enquêtes criminelles, certains vont trouver ça tout nul. Moi j'en dis qu'il y a du favoritisme, et pis c'est tout.

Bref cette série, somme toute modeste, s'est avérée profondément addictive pour moi, et c'est un plaisir de pouvoir continuer l'aventure chaque mardi soir, avant qu'elle ne se termine définitivement dans un mois.

lundi 5 octobre 2015

Sail.

Résultat de recherche d'images pour "schizophrenia art"

Lindsay ouvrit péniblement les yeux, son regard meurtri par les néons artificiels reflétant une lumière feutrée, viciée, privée de tout éclat naturel. Une paupière après l'autre. Elle avait désormais perdu toute notion du temps, ses maigres souvenirs se dissipant en brume indistincte dans sa mémoire encrassée. Il lui semblait que bon nombre de ses perceptions l'avaient définitivement abandonnée, au gré des injections régulières auxquelles elle tendait le bras, machinalement, sans même le plus petit mouvement de recul. C'était donc ça, ne plus être acteur de sa propre vie, ne plus être ce Moi majuscule qui agissait délibérément. C'était étrange, cette indifférence totale, cette absence de ressenti, cet endolorissement permanent des muscles et de la pensée. C'était grisant, aussi, de n'être qu'un fantôme vide de tout, sans consistance, emplie d'un rien apaisant. Elle n'aurait su dire depuis combien de temps elle s'était endormie, les bras entrelacés entre eux, dans cette tenue farfelue qui lui empêchait d'atteindre ses coudes. Les murs capitonnés ne laissaient filtrer que de vagues sons, quelques cris étouffés tout au plus ; elle se croyait presque enfermée dans du coton, dans de la barbe à papa, en plus poussiéreux et moins sucré. Faute de pouvoir se réfugier dans le giron robuste des femmes en blanc, elle se blottissait dans ses propres bras, seule chose que lui permettait encore son étrange accoutrement. Alors, elle s'enlaçait elle-même, dans un mouvement de balancier presque imperceptible, comme pour se rassurer d'une vérité qu'elle était la seule à ne pas comprendre. Et elle avait beau s'agripper à sa propre peau jusqu'à vouloir en lacérer l'épais maillage du tissu, y enfoncer les ongles, rien n'y faisait. Les quelques mots prononcés à demi-voix par les dames blanches derrière l'embrasure de la porte tourbillonnaient sans cesse dans son esprit : « Fais gaffe quand tu rentres, enfin tu sais, c'est la tarée qui a buté son mec. A ce qu'on en dit, c'est vraiment une folle dangereuse, vingt-trois coups de marteau sur le crâne, qu'elle lui a foutu, t'imagines un peu ?. »

La jeune femme était persuadée que la meurtrière en question déambulait dans l'une des chambres voisines, sans doute prête à bondir sur tout ce qui bougeait. Elle se souvenait avoir maintes fois confié ses craintes à l'une des dames blanches teigneuses, qui avait repoussé ses cris d'un simple revers de main, levant les yeux au ciel d'une manière appuyée qu'elle ne comprenait pas. Et elle lui avait fait l'une de ces piqûres dont elle seule avait le secret. Lindsay se sentait certes un peu isolée dans ce quotidien surprotégé, dans cette routine invariable, mais elle s'y sentait globalement bien. Comme elle aurait voulu l'être chez elle. Chez elle … Cette évocation la ramena aux longues soirées de malaise, où elle se démangeait les avant-bras à sang, comme pour évacuer la noirceur amère qui y coulait. Elle ne se rappelait plus vraiment pourquoi elle le faisait, mais elle savait que ça l'apaisait, que ce geste la remettait sur pied, dans une réalité ancrée. Elle regrettait que sa nouvelle tenue attitrée ne lui permette plus de le faire, elle y aurait sans doute trouvé une forme de vitalité qui ne régnait plus ici. Elle s'imagina gratter son épiderme avec énergie, se concentrant pour visualiser la scène, pour se représenter la peau qui rougissait et s'ornait de stries irrégulières. En vain. L'imagination la comblait bien moins que la réalité d'un instant. Il fallait qu'elle songe à réclamer d'autres habits, peut-être même la laisserait-on faire un peu de lèche vitrine, si elle était chanceuse. Ainsi, elle pourrait rentrer en toute quiétude s'adonner à son activité favorite … Elle sourit, sereine, puis se rendormit du juste sommeil d'une sédatée. 


La chambre était désormais plongée dans l'obscurité lorsque Lindsay s'éveilla en sursaut, surprise par des hurlements déchirants, qui fendaient l'air tels des torpilles enragées. Les cris cessèrent dès qu'elle se dressa sur son séant, si bien qu'elle crû un instant les avoir rêvés. Elle mit un moment à réaliser que ce vacarme de tous les diables sortait directement de sa propre gorge, meurtrie après l'effort. Ce cauchemar. Il était revenu. Il était devenu assez courant depuis qu'elle sommeillait dans cette petite pièce sans fenêtre ; le manque d'oxygène sans doute … Elle ne savait jamais le restituer avec précision, mais elle se souvint encore une fois du sourire sarcastique de la mégère blanche lorsqu'elle lui avait raconté. La première chose qu'elle y voyait d'abord était ses doigts gorgés de sang, s'écoulant lentement sur le tapis blanc du salon, celui qu'elle avait mis tant d'énergie à choisir. Enfin, elle imaginait qu'il s'agissait de ses propres mains, puisque l'une d'elles était ornée de la bague de fiançailles que lui avait offert son compagnon pour leur deux ans de vie commune. Ce même compagnon qui était, dans ses visions nocturnes, affalé sur ce même tapis, la tête tournée selon un angle alambiqué, face contre terre, méconnaissable. Et pour cause, tout ce sang … ! Jamais elle n'avait vu pareille boucherie, et l'idée qu'elle puisse simplement l'imaginer la fit frissonner. S'écoulant sur le rebord de la table en formica, giclant contre les murs de briques, formant une mare immense sur le carrelage froid de leur appartement. Elle savait que ces mauvais rêves étaient dus à la présence de cette tueuse cinglée qui se trouvait non loin de sa chambre. Et puis, les dames blanches avaient dû se tromper en affirmant qu'il était mort, c'était impossible ; elles ne l'avaient sûrement dit que pour la blesser. Elle s'aperçut qu'une larme coulait silencieusement sur sa joue, esquissa un geste pour la chasser mais le tissu de la camisole la retint. Elle s'inquiétait tellement pour lui, lui qui était seul depuis son départ ! Son départ vers où, d'ailleurs ? Elle ne savait toujours pas où elle était. Dès demain, elle demanderait à rentrer chez elle, à le retrouver, ils pourraient même partir ensemble vers des contrées lointaines et oublier tout ça. Oh oui, ils le pourraient bien sûr, elle n'imaginait pas les choses autrement. Oh, elle l'aimait tellement, bien plus que raison. Ils auraient alors l'éternité, toute l'éternité ! Apaisée, Lindsay reprit son doux balancier, bercée par ses chimères illusoires et réconfortantes.