dimanche 15 mai 2016

Dude looks like a lady.

Ces dernières semaines, j'ai visionné plusieurs films sur lesquels il est désormais grand temps de faire le point, et je dois avouer que j'accumule un certain retard (pour ne pas dire un retard certain) dans mes critiques. Voici donc un article thématique sur la féminité au masculin, illustré par deux intrigues totalement différentes sur le sujet.


Mrs. Doubtfire :


"Si je chope le salopard de misogyne qui a inventé les talons hauts, j'le tue !"

Mrs. Doubtfire est la comédie familiale par excellence, adapté à toutes les tranches d'âges, pouvant faire marrer et émouvoir les jeunes et les moins jeunes. On y suit les aventures effrénées de Daniel Hillard, un père qui n'en fait qu'à sa tête et qui possède un âge mental à peu près équivalent à celui de sa fille cadette. Le jour où sa femme, excédée de cette situation, demande le divorce, il se rend compte qu'il risque tout perdre, y compris la garde de ses enfants. Il décide alors de tromper son monde et de se transformer en femme pour remplir le rôle de bonne à tout faire, assouvissant son envie de passer du temps avec eux, de leur apprendre des trucs, de trouver un sens à sa vie. Frôlant la schizophrénie, il va se remettre en question, se découvrir des qualités éducatives et culinaires insoupçonnées, développer des centres d'intérêt auxquels il était complètement indifférent quelques semaines plus tôt, mais également jouer avec la confiance des ses proches. Chaque personnage est incroyablement bien écrit, la psychologie de chacun est très éloquente sans pour autant tomber dans la caricature. Le thème est brillant, le dénouement est brillant, les acteurs sont brillants, les gags sont brillants et servent pour la plupart le récit (même si on échappe pas à quelques blagues pipi-caca gratuites). Peu de niaiserie, peu de cynisme aussi, une comédie simple, sincère : son but est admirable. Et ce sans jamais tomber dans un pathos insupportable.

On y retrouve un Robin Williams en grande forme qui se travestit en vieille gouvernante anglaise forte en gueule : c'est un pur one-man show. L'acteur se livre à un jeu ultra-convaincant (on a beau savoir qui se cache derrière le masque de Mrs. Doubtfire, on y croit !), mais aussi riche en émotions. Tantôt on se marre, tantôt on est de tout cœur avec cet homme. Oui, c'est bourré de bons sentiments, et pour une fois je m'en fous. Robin Williams s'offre une performance absolument géniale, et je ne cesse de me marrer devant les quelques extraits que je regarde régulièrement quand j'ai envie de me poiler un peu (mention spéciale aux scènes ou Daniel se change en catastrophe chez lui, à l'insu de sa contrôleuse judiciaire). Toutes les scènes avec Pierce Brosnan sont particulièrement tordantes elles aussi : rien que le fait de voir jouer James Bond dans un autre film que James Bond est amusant. 

D'un autre côté, le double-message est effectivement très adulte : le divorce des parents, la dure la réalité pour Daniel qui peine à retrouver du travail et un logement, les enfants qui ne comprennent pas le changement de leur cadre de vie confortable, sont des thèmes peu enfantins. Bien que le film date de 1994 (forcément un bon cru, il est né en même temps que moi), les sujets abordés sont de plus en plus d'actualité. D'ailleurs, la fin est particulièrement réussie, lorsqu'Iphigénie/Hillard laisse au spectateur des réflexions sur le divorce, les disputes conjugales, les relations entre ex, l'amour parental. En bref, je ne peux que vous le conseiller, c'est une histoire qui n'est pas moralisatrice, qui ne montre pas un happy-ending abracadabrant et tiré par les cheveux, qui ne donne pas dans la niaiserie ou le regret. C'est une excellente comédie américaine, drôle et très rythmée, limpide, sans lourdeurs. La présence de Robin Williams y est pour beaucoup, génie triste luttant pour rire et faire rire, ce qu'il réussit à merveille. Personnellement, je ne vois pas ce que je pourrais demander de plus, j'ai trouvé une comédie qui m'a enfin séduite de bout en bout !

Les tâtonnements plus ou moins esthétiques, aboutissant à la naissance de Mrs. Doubtfire. Plaisir des yeux garanti ... Ou pas.




Les garçons et Guillaume, à table ! :

Image associée

"Le premier souvenir que j'ai de ma mère, c'est quand j'avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : Les garçons et Guillaume, à table !, et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant : Je t'embrasse ma chérie. Eh bien disons qu'entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus."

Je partais avec d'énormes a priori négatifs concernant Les garçons et Guillaume, à table !, malgré le peu d'extraits que j'en avais vus et qui m'avaient relativement plu. J'ai eu vite fait de me dire qu'il faisait sûrement partie de ces boules puantes à éviter, à en juger par son affiche et sa bande annonce criardes. Pour s'y intéresser un minimum, il faut connaître et apprécier Guillaume Gallienne, la seule bonne découverte qui soit sortie de ce musée des horreurs qu'est Canal+. Un sociétaire de la comédie française qui, plutôt que d'imiter les plus grands ou imposer une mise en scène nombriliste, se dévoile face à la caméra dans un décor minimaliste, pour ne montrer que la qualité de son interprétation.

Guillaume, cadet d'une famille de trois frères se trouve aspiré par sa mère, à laquelle il voue un véritable culte. Lors des repas, celle-ci l'appelle en s'écriant : "Les garçons et Guillaume, à table !". En société, Guillaume laissait une impression bizarre qui embarrassait ses proches : pour tous, il était un homosexuel refoulé, excentrique et un peu incontrôlable. Aux yeux du monde, il est le petit dernier de la fratrie, adoré et chouchouté par sa mère, avec qui il vit une passion trop fusionnelle. Parfois cette maîtresse femme est à la limite de la manipulation, mais peu importe : il est docile, compréhensif, il ne se révolte pas et fait tout pour ne plus la décevoir. Ce n'est pas que Guillaume ait une préférence particulière pour les garçons, mais il ne peut pas lutter contre l'idée que les autres se font de lui et n'ose pas développer sa propre personnalité, conditionné par sa mère qui n'acceptera aucune rivale féminine dans la vie de son fils.

Voici un film que j'ai beaucoup aimé pour trois choses : son sujet d'une belle originalité, son humour grinçant et son interprétation exceptionnelle. Il évite ce tic de perfection insupportable qui pousse les réalisateurs à privilégier les effets spéciaux et le maquillage au profit de l'interprétation. Guillaume Gallienne n'a pas besoin d’artifice : pour passer d'un personnage à l'autre, c'est à peine s'il change de tenue. La transformation se fait simplement, dans le timbre de voix ou dans la gestuelle. Garçon maniéré, il a passé sa jeunesse à observer les femmes, pour en reproduire les comportements et les mimiques. Un atout supplémentaire, qui lui permet de se dédoubler à l'écran pour incarner les deux rôles à la fois : l'adolescent emprunté et la femme mûre. Ce que je craignais franchement, de peur que le film tombe dans le ridicule le plus total et que l'essai soit raté. Et non. Un comédien au cinéma, sans rien d'autre autour, il faut dire qu'on n'en avait plus l'habitude. Le cinéma, ce n'est trop souvent que des scènes mises bout à bout pour donner l'illusion de vrai, et j'avoue que l'inverse fait du bien. Vraiment.

C'est un carnet de souvenir, un carnet de souffrance, qui n'est fidèle à rien d'autre qu'à la mémoire et au besoin de tourner un vécu douloureux à la dérision. Mon seul bémol concernant ce film : la récurrence de certaines scènes inutiles et dignes d'American Pie, qui contrastent franchement trop avec l'aspect psychologique mis en avant dans l'ensemble de l'histoire. Mais cela ne concerne que dix minutes de film en tout, et heureusement. Une belle réussite, qui donne à réfléchir et qui fait parfois un peu froid dans le dos, quand même.

jeudi 5 mai 2016

"Mr Mercedes", ça roule plutôt bien.

Je l'écris sans honte, je considère Stephen King comme l'un des seuls vrais grands auteurs populaires mondiaux, c'est à dire quelqu'un qui sait raconter quelque chose d'intelligent à la portée de tous, sans pour autant tomber dans la facilité (même si son approche ultra détaillée de personnages parfois secondaires peut rendre quelques passages par ci par là un peu indigestes). Ici, on va pourtant à l'essentiel, et ce livre pourrait être résumé à "faire du Stephen King sans faire du Stephen King". C'est bien lui et, à la fois, c'est tout de même différent.

Afficher l'image d'origine

La couverture est assez sympa, s'ancrant directement dans l'esprit du récit, malgré le gros spoiler que peut déjà révéler le thème. Au moins, celui-ci n'est-il pas mensonger, contrairement à celui de Joyland, qui a carrément surestimé l'intrigue, créant une grosse déception chez de nombreux lecteurs. 

Dès le premier chapitre, King ne lésine pas sur les détails et sur la profondeur des personnages. On y plonge dans un coin d'Amérique comme tant d'autres, rongé par la crise économique, et notamment par le chômage. Pendant quelques secondes, j'ai craint la critique facile et inutile de notre société actuelle, dont pas mal d'auteurs peuvent être friands en ce moment, mais heureusement l'écrivain d'horreur n'est jamais loin. C'est qu'en prenant un bouquin, je ne veux pas avoir la désagréable impression de regarder le JT, je suis là pour me détendre et flipper, voyez-vous. 

Bill Hodges est un flic à la retraite, finalement assez classique dans le registre du polar, rappelant vaguement Harry Bosch dans la saga de Connelly ; en revanche, le tueur est un psychopathe fou furieux comme seul Stephen King sait les décrire. Néanmoins, l'horreur prend un visage très moderne, sur fond de piratage informatique et de déficience du lien familial. L'enquête piétine, le récit alternant alors entre les pensées de Hogdes et celles de Mr Mercedes. A travers la psychologie des personnages, Stephen King s'interroge encore une fois sur la folie d'un tueur, la dépression chronique d'une jeune angoissée, les idées suicidaires d'un vieux flic : qu'avons-nous raté ? Qu'aurions-nous pu faire pour éviter d'engendrer des milliers de Mr Mercedes ? Pourquoi notre vie semble-t-elle autant nous échapper à un moment ou à autre ? Quel est cet air du temps qui nous oblige à prendre des petites pilules de bonne humeur par dizaine ? Et d'un autre côté, une note d'espoir se remarque de plus en plus dans les chapitres finaux de ses œuvres, contrairement aux bouquins précédents qui ne se terminaient jamais vraiment dans la joie et l'allégresse.

J'ai également apprécié les références à Ça et Christine : ses premiers livres, ses plus grands succès ... Un retour aux sources parmi un changement de style radical. Pour ma part, j'avoue préférer Stephen King pour ses thrillers noirs et minimalistes, dépourvus de créatures étranges ou de paf paf boum boum avec des martiens. Mr Mercedes n'arrive certes pas à la cheville de Misery (sans mauvais jeu de mots), La ligne verte, Shining, ou encore Bazaar, mais reste cependant un excellent thriller tout plein de bonne tension. Cela dit, je ne peux pas m'empêcher de penser que l'idée d'une adaptation sur grand écran ait un peu titillé King et influencé le déroulé de l'histoire.

Un trailer récapitulant les œuvres majeures de l'écrivain avait même été mis en ligne à l'occasion de la sortie de Mr Mercedes :