lundi 13 juin 2016

Charlie et la Chocolaterie, cette gourmandise coupable.

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Oui bon, je crois que pour une critique objective, vous n'êtes pas au bon endroit. Willy Wonka, propriétaire d'une chocolaterie loufoque où personne n'a pénétré depuis quinze ans, va organiser une loterie qui permettra à quelques enfants de visiter sa mystérieuse confiserie. Le principe est simple : parmi des milliards de tablettes de chocolat vendues dans le monde, seulement cinq d'entre elles contiennent un ticket d'or. Les enfants qui découvriront un de ces tickets seront donc invités par Wonka. Parmi eux, Charlie est un petit garçon issu d'une famille pauvre, dont le grand-père est un ancien ouvrier de la chocolaterie. Disons les choses clairement, ce personnage est un prétexte, une sorte de faire-valoir qui nous invite à apprécier la chocolaterie d'un œil enfantin, pour mieux nous faire lorgner du côté du vrai héros (ou plutôt anti-héros) de l'histoire. Sous ses airs enfantins, ce film tend vers une satire grinçante et décalée de l'éducation, de l'incidence de l'enfance sur la construction des individus, du développement de l'industrie au profit de l'emploi (déjà).

Cette usine futuriste est donc truffée de trouvailles multicolores, d'excès et de délires en tout genre, de joie et d'excentricité, en opposition avec l'ensemble de la ville terne qui l'entoure. D'ailleurs, la maison de Charlie n'est pas sans rappeler le manoir d'Edward aux mains d'argent, un peu branlant, carrément mal foutu, ne tenant même pas sur ses fondations, une vraie bâtisse burtonnienne. Le réalisateur a bien sûr gribouillé lui-même les croquis de ses décors et a tenu à les construire en dur, tout comme les marionnettes à l'effigie de Deep Roy, dupliquant des Oompa Loompa surexcités à l'infini. Lors de cette visite endiablée, Willy Wonka profitera de l'occasion pour régler son compte à une société qui ne lui a jamais vraiment fait de cadeau : il va piéger les gamins pourris gâtés, prétentieux et arrogants en jouant sur leur corde sensible, et donner une bonne leçon aux parents qui ont osé engendrer des petits monstres pareils (si seulement je pouvais faire ça dans mon boulot, mais là je m'égare). Sans surprise, l'héritage reviendra à Charlie, gamin pauvre et sensible, respectueux de sa famille, généreux et curieux de tout. Tout va bien, la morale et sauve. Et puis on y retrouve l'un de ses thèmes préférés, à savoir sa volonté à nous montrer les gens normaux sont en fait plus tarés et dangereux que les doux dingues comme Willy Wonka.

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Dans un premier temps, on peut le voir comme une sorte de prédateur, avec les éliminations successives des enfants et son côté malsain clairement assumé. Celui qui est censé lui succéder doit répondre à de nombreux critères, connus de lui seul. Les cinq enfants qui ont eu la chance de découvrir les fameux tickets d'or risquent finalement d'être des proies bien vite bazardées si elles ne font pas l'affaire. Mais Willy Wonka est aussi un artiste, et Tim Burton est fasciné par les artistes, il en est lui-même un, et c'est une chose qu'il adore mettre en scène. Tout comme Wonka, son style hors-normes ne fait pas l'unanimité, certains (comme moi) l'adulent, d'autres le détestent, sans qu'il existe vraiment de juste milieu. L'art a des conséquences, bonnes ou mauvaises (égocentrisme, incitation à la consommation, exploitation, industrialisation de masse, mais aussi réflexions sur le monde, construction de soi et créativité sans borne) et c'est également ce qu'évoque Charlie et la Chocolaterie. On retrouve la patte du réalisateur, autant visuellement qu'au niveau de l'humour, noir à souhait (comme le chocolat, il fallait bien que je vous la fasse, celle-là). Willy Wonka, incarné par un Johnny Depp méconnaissable, est d'ailleurs le genre de personnages auxquels je m'attache très rapidement, tout en nuances et en contradictions. Le petit Charlie contrebalance un peu toute cette froideur joviale, il s'agit d'un enfant doux et calme, l'exact opposé du chocolatier. Les deux vont pourtant se trouver de nombreuses similitudes, car c'est aussi un des sujets du film, celui des apparences. Derrière ses lunettes et sa tenue excentrique, Wonka est un homme mal à l'aise en société, un créateur génial mais très timide, presque associable. Je ne peux m'empêcher de voir un parallèle évident avec Tim Burton lui-même. Tout ceci est appuyé par la composition de Danny Elfman, qui semble très inspiré. Le générique totalement barré me séduit complètement à chaque fois (cette musique occupe d'ailleurs une très bonne place dans mon MP3) :


Ces nombreux niveaux de lecture n'empêchent pas Charlie et la Chocolaterie de rester un divertissement familial adapté à tous (et surtout aux parents, si vous voyez ce que je veux dire). Prévoir avec vous quelques trucs à grignoter, parce qu'à voir tout ce chocolat, on a plus d'une fois l'envie de se lever pour aller chercher à bouffer.

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Pour aller plus loin : La conception et la naissance des Oompa Loompa


lundi 6 juin 2016

Correspondances de guerre.

Lorsque j'étais en seconde, j'avais du lire tout un recueil de lettres de guerre, et je me souviens avoir pleuré comme une madeleine pendant des jours (j'avoue avoir encore les larmes aux yeux, des années après, à la relecture de certaines). Ces mots, illustrant concrètement le vécu des soldats au quotidien, ont sans doute joué un rôle majeur dans ma compréhension du monde et mon rejet des extrémismes quels qu'ils soient. Et dans le contexte politique actuel, je dois dire que ce sujet revient particulièrement me hanter ces derniers temps. J'ai donc moi-même ressenti le besoin d'écrire une lettre fictive, qui sera sans doute complétée par d'autres bribes de récits ensuite (une fois n'est pas coutume, cet article va donc s'actualiser pas mal au fur et à mesure). Avant toute chose, je tenais quand même à partager avec vous quelques citations tirées de courriers réels, qui m'ont énormément marquée. A méditer ...

"Voilà quatre heures que nous sommes bombardés. On ne s'étonne même plus de ces conditions de vie artificielles, à peu près injustifiables, qui ne ressemblent à rien de notre vie et de nos pensées d'autrefois. Au milieu d’un désordre inguérissable, nous attendons sans rien pouvoir, sans rien imaginer, sans rien espérer, la fin de quelque chose que l'on nous a dit d'endurer. Nous sommes là, voilà tout. Nous sommes, tout court, sans heure et sans lieu humains."

"C'est malheureux de voir tant de victimes qui n'y sont que pour rien. C'est même honteux de voir cela. Depuis trente mois que je suis aux tranchées, je vois qu'il n'y a plus rien à faire. Il faut que l'on y passe tous. On n'a pas assez de misères de coucher dans l'eau, il faut encore se faire tuer ; mais j'en ai plus qu'assez. Du courage, je n'en ai plus ! J'en ai eu, maintenant c'est fini."

"Pendant toute ma vie, j'ai été heureux autant qu'on peut le rêver, autant, je crois, qu'on peut le réaliser et c'est vous qui m'avez tout donné. Je vous ai aimés de tout mon cœur, de toutes mes forces. Je m'en vais pour la plus belle cause : pour qu'en France on ait encore le droit d'aimer. J'espère être tombé face à la victoire. Moi qui aurais tant voulu ne jamais vous faire de peine ! enfin, puisque je ne laisse ni haines, ni dégoûts, que tout m'a semblé beau et m'a été doux. Je m'en vais encore heureux, puisque c'est pour permettre à d'autres de l'être."


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"Ma tendre aimée,

Aujourd'hui samedi, nous sommes toujours positionnés à quelques kilomètres de Verdun, où nous avons perdu bon nombre de coéquipiers. La plupart sont morts sous les balles ennemies, tombés dans les tranchées à nos pieds, et les quelques autres ont fini par succomber au manque croissant d'eau et de nourriture. Notre bataillon s'est considérablement réduit, et je tente tant bien que mal de ne pas céder à la panique devenue si familière depuis quelques semaines. Nous n'avons rien mangé depuis deux jours, condamnés à nous repaître uniquement de l'eau boueuse des tranchées, en attendant mieux. Mon envie de te revoir me maintient en vie à chaque instant, et me donne la folie nécessaire pour affronter cette cruauté du quotidien. Parfois, je me demande si nos fourbes et invincibles adversaires ressentent aussi ce manque constant et viscéral de leurs proches. Pardonne ces pensées ma douce, mais il m'arrive même quelquefois (rarement) d'éprouver une certaine forme de sympathie pour eux : ne subissent-ils pas autant que nous les effets de cette guerre interminable ? N'ont-ils pas été contraints de se trouver là, contemplant leurs morts pourrir sur le champ de bataille, au nom d'une idéologie qui les révulse ? Ne désespèrent-ils pas autant que nous de pouvoir un jour enlacer les êtres qui leur sont chers ? L'horreur quotidienne me pousse à considérer les choses autrement, et fait naître en moi une empathie que je n'aurais jamais cru pouvoir éprouver à leur égard.

Cela va sans doute te paraître absurde, mais je n'aurais jamais autant écrit que durant ces jours interminables de combats et de misère. Je me découvre un plaisir immense pour l'écriture, seule liberté qu'il me reste encore au milieu des fusillades. Sans cela, j'aurais déjà sombré mille fois. Si j'ai le privilège d'en réchapper, je te ferai lire mes carnets, que tu n'auras sans doute pas la force de terminer ; j'en ai déjà rempli deux et de nombreux viendront encore. Peut-être même que j'aurais le désir de les faire publier ; penser mettre ma modeste contribution au service de l'humanité est une motivation immense. J'en ressens le vif besoin, il faut que je le fasse, que je dénonce cette horreur sans borne pour que jamais plus elle ne se reproduise. Oh, quelle utopie ! Dieu sait qu'il en faut pour survivre ici, heure après heure, jour après jour. C'est encore le seul rempart qui me permet d'éprouver un quelconque espoir en l'être humain.

Je ne pourrais même pas te décrire que ce nous vivons. Dans les jours meilleurs, certains camarades se noient, meurent de faim, sombrent dans la démence ; mais la plupart du temps, ce sont les obus et la mitraille qui disséminent notre équipe petit à petit. Nous ne pouvons pas les enterrer décemment, bien sûr, alors nous continuons à creuser de nouvelles tranchées, au milieu de ces cadavres avec qui nous avons tant partagé. Dans ce chaos, par dessus la chair pourrissante, nous ne faisons rien d'autre que de besogner mécaniquement, sans relâche, nous préparant aux prochaines hostilités, sans un regard pour nos alliés défunts. Et je retourne me battre pour toi, dans la fureur du désespoir. Pour les enfants que nous aurons un jour, pour la bague que je passerai à ton doigt et pour la maison que je t'offrirai de mes mains. Malgré mes pensées généreuses, toute compassion s'éteint en moi lorsqu'il me faut achever un soldat ennemi barrant mon chemin. L'instinct de survie, crois-moi, nous pousse à devenir aussi sauvages que les bourreaux que nous accablons.

En réalité, j'ai changé de manière terrible. La fraternité se succède à une violence sans nom, et à force d'émotions démesurées, je ne me sens plus que l'ombre de moi-même dans cette horreur sanguinaire. J'oscille sans cesse entre compassion et désir intense de cruauté, en équilibre instable, foudroyé par un état second de plus en plus fréquent. Comment puis-je être capable d'autant d'amour, et engendrer pourtant la destruction ? Je m'accroche désespérément à nos souvenirs heureux, à défaut de parvenir encore à être moi-même. Madeline, l'homme que tu vas épouser n'est définitivement plus semblable à celui que tu as connu. Je ne suis plus qu'un soldat aux vêtements tachés, aux poches sous les yeux, au teint blafard et à l'instinct animal. C'est d'ailleurs tout ce que nous sommes devenus : des bêtes, traquées et traquant à leur tour."