lundi 8 août 2016

Parlons un peu de Dolores Claiborne.


    

Décidément, Kathy Bates et Stephen King étaient faits l'un pour l'autre. Ce film est la preuve qu'une adaptation peut être réussie tout en s'éloignant carrément du scénario original, et ce n'est parfois pas plus mal. 

On retrouve ici Stephen King dans un registre très différent, sans fantômes ni créatures farfelues, sans fantastique ni surnaturel. Dans Dolores Claiborne, il s'intéresse simplement à une tranche de vie plutôt banale à première vue : l'existence paisible et ennuyeuse d'une femme de ménage vivant sur une île coupée du monde, en compagnie de son mari alcoolique et ses trois enfants en bas âge. Tout était donc fait pour me plaire, mais à ma grande surprise je n'ai pas été totalement convaincue. Déjà sur la forme : le roman est écrit d'une seule traite, autant dire qu'il symbolise le cauchemar horrible de tout lecteur qui veut finir son chapitre avant d'éteindre la lumière ; on finit donc par bâcler rapidement le dernier paragraphe pour pouvoir aller se coucher. Certes, écrire le monologue d'une femme battue est un exercice casse gueule pour n'importe quel auteur, mais très franchement, je n'ai pas ressenti l'émotion que j'aurais voulu. L'action se déroule uniquement dans une salle d'interrogatoire, Dolores y est dépeinte comme une camionneuse bourrue, vulgaire et peu instruite, et je dois dire qu'émotionnellement, ça m'en a touché une sans bouger l'autre. A mon sens, une telle histoire aurait mérité bien plus de subtilité, de finesse, et surtout d'être beaucoup moins caricaturale pour être crédible.
Autre chose : un élément essentiel de l'histoire est franchement très similaire à celui d'une des nouvelle du recueil Nuit Noire, étoiles mortes (1922, pour les connaisseurs). Bon OK, ce recueil est largement plus récent que Dolores Claiborne, mais si les auteurs commencent à s'autoplagier, on aura pas assez d'une seule vie pour découvrir tous leurs bouquins. Pour moi, c'est donc un livre sympa, mais sans plus. Il se lit vite, sans réelle impatience, et ne me laissera pas un souvenir impérissable. 

Adapter cette histoire était donc plutôt compliqué, voire impossible, puisqu'il s'agit simplement d'une introspection qui part un peu dans tous les sens. Mais heureusement pour moi, Taylor Hackford s'est approprié personnellement l'oeuvre avant de la retranscrire en images, et je vous avoue que je me suis montrée beaucoup plus enthousiaste. Alors oui, ses détracteurs pourront dire qu'il ne ressemble que très peu à l'intrigue originale, mais je trouve qu'un copié-collé fidèle, scène pour scène et mots pour mots, n'a aucun sens et n'en aura jamais. Regardez par exemple Shining : bon nombre de fans conchient littéralement le film de Kubrick et lui reprochent d'avoir pris trop de libertés (ce que pense également le principal intéressé, Stephen King himself). A contrario, Mick Garris a réalisé une série qui était beaucoup plus proche du roman original, et qui n'apporte finalement rien de nouveau. Une adaptation doit pouvoir garder la trame de base, mais elle doit aussi apporter davantage, ne serait-ce qu'un changement de point de vue. Le Dolores Claiborne de Hackford apporte ce qu'il faut de neuf tout en gardant pas mal d'idées propres au bouquin, et pour ma part je le perçois comme un bel hommage, autant à Stephen King qu'aux femmes de la trempe de Dolores. Je trouve ça plutôt flatteur : voilà qui redore enfin le blason de cette héroïne du quotidien et la dépeint à sa juste valeur.


On y suit donc Dolores partout, comme si elle nous promenait dans sa poche au gré de son histoire, sans faux-semblants et sans pudeur : la lente déchéance d'un homme qui la bat (parce qu'à cette époque, un homme viril doit soumettre sa femme et la maintenir constamment dans la terreur, évidemment), ses relations ambivalentes avec Vera Donovan, son amour inconditionnel pour sa fille unique (autre différence avec le roman), ses désirs de fuite, puis de meurtre. Et on se prend de sympathie pour tout ce petit monde, tout en contrastes et en complexité. Le seul personnage qui restera tout le temps fidèle à lui-même (c'est-à-dire bien insupportable) est Joe St George, admirable dans son rôle de pourri fini, représentant les deux fléaux que sont la domination masculine et l'alcoolisme. Presque naturellement, on applaudirait presque cette idée de faire justice soi-même, quand la société n'est pas présente là où elle le devrait (parce qu'elle ne l'est pratiquement jamais, faut pas se leurrer). Le duo mère/fille fonctionne également à merveille et nous prend aux tripes, tantôt dans la recherche constante de l'autre, tantôt dans la confrontation. Kathy Bates a un véritable talent (et elle fait partie de ses rares actrices qui ne me ressortent pas par les trous de nez, c'est plutôt bon signe), elle interprète aisément la peur, la tristesse, la rage, le courage, la générosité, la détermination, alternant sur cette palette d'émotions à l'infini. A vrai dire, elle est tout aussi impressionnante dans ce rôle de femme bafouée qu'elle l'était en psychopathe dans Misery (il fallait bien que je fasse le parallèle, sinon ce ne serait pas moi). Dolores est en tous points un modèle pour chaque femme d'hier et d'aujourd'hui, amenée à vivre dans un monde parfois hostile et destructeur, où il faut trop souvent se battre avec ses petits poings pour survivre. 

Au lieu de raconter les faits à l'enquêteur, Dolores choisit ici de se confier directement à sa fille, ce qui permet de sortir un peu du confinement de la salle d'interrogatoire et de redonner plus d'intérêt au récit. Côté esthétique, ce film est sans doute l'un des meilleurs que j'ai pu voir jusqu'ici : le présent ne s'accompagne que d'une ambiance morne et grise, tandis que le passé est une explosion de couleurs vives, un paradoxe qui capte directement l'intérêt du spectateur. Sans compter la simple présence de Kathy Bates, les nombreux effets visuels de foufou et la magnifique BO de Danny Elfman, tout y est pour y plonger à corps perdu. La mise en scène est tout simplement fabuleuse et le film se suit avec plaisir, il est impossible d'en décrocher jusqu'à la toute fin. Je pense qu'il deviendra aisément l'un de mes grands classiques. Bref, un film vraiment mémorable et à la conclusion touchante, qui laissera un souvenir assez marquant de par la présence sincère et subtile des acteurs, lesquels auraient tous amplement mérité une récompense pour leur interprétation. Après tout, on distribue des Césars à la pelle pour beaucoup moins que ça.


Et comme Dolores m'a beaucoup inspirée, voici donc un petit hommage de mon cru, que je vous présente avec la fierté du travail bien accompli :

 

1 commentaire:

  1. Merci de m'avoir fait découvrir ce drame touchant et visuellement très abouti. Ce sont ces fameuses transitions qui m'ont fait m'intéresser davantage à une histoire que j'aurais peut-être boudée et qui pourtant s'avère essentielle comme tu le soulignes car toujours en lien avec l'actualité, malheureusement. Vive les femmes libérées !

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