lundi 13 juin 2016

Charlie et la Chocolaterie, cette gourmandise coupable.

Afficher l'image d'origine

Oui bon, je crois que pour une critique objective, vous n'êtes pas au bon endroit. Willy Wonka, propriétaire d'une chocolaterie loufoque où personne n'a pénétré depuis quinze ans, va organiser une loterie qui permettra à quelques enfants de visiter sa mystérieuse confiserie. Le principe est simple : parmi des milliards de tablettes de chocolat vendues dans le monde, seulement cinq d'entre elles contiennent un ticket d'or. Les enfants qui découvriront un de ces tickets seront donc invités par Wonka. Parmi eux, Charlie est un petit garçon issu d'une famille pauvre, dont le grand-père est un ancien ouvrier de la chocolaterie. Disons les choses clairement, ce personnage est un prétexte, une sorte de faire-valoir qui nous invite à apprécier la chocolaterie d'un œil enfantin, pour mieux nous faire lorgner du côté du vrai héros (ou plutôt anti-héros) de l'histoire. Sous ses airs enfantins, ce film tend vers une satire grinçante et décalée de l'éducation, de l'incidence de l'enfance sur la construction des individus, du développement de l'industrie au profit de l'emploi (déjà).

Cette usine futuriste est donc truffée de trouvailles multicolores, d'excès et de délires en tout genre, de joie et d'excentricité, en opposition avec l'ensemble de la ville terne qui l'entoure. D'ailleurs, la maison de Charlie n'est pas sans rappeler le manoir d'Edward aux mains d'argent, un peu branlant, carrément mal foutu, ne tenant même pas sur ses fondations, une vraie bâtisse burtonnienne. Le réalisateur a bien sûr gribouillé lui-même les croquis de ses décors et a tenu à les construire en dur, tout comme les marionnettes à l'effigie de Deep Roy, dupliquant des Oompa Loompa surexcités à l'infini. Lors de cette visite endiablée, Willy Wonka profitera de l'occasion pour régler son compte à une société qui ne lui a jamais vraiment fait de cadeau : il va piéger les gamins pourris gâtés, prétentieux et arrogants en jouant sur leur corde sensible, et donner une bonne leçon aux parents qui ont osé engendrer des petits monstres pareils (si seulement je pouvais faire ça dans mon boulot, mais là je m'égare). Sans surprise, l'héritage reviendra à Charlie, gamin pauvre et sensible, respectueux de sa famille, généreux et curieux de tout. Tout va bien, la morale et sauve. Et puis on y retrouve l'un de ses thèmes préférés, à savoir sa volonté à nous montrer les gens normaux sont en fait plus tarés et dangereux que les doux dingues comme Willy Wonka.

Afficher l'image d'origine

Dans un premier temps, on peut le voir comme une sorte de prédateur, avec les éliminations successives des enfants et son côté malsain clairement assumé. Celui qui est censé lui succéder doit répondre à de nombreux critères, connus de lui seul. Les cinq enfants qui ont eu la chance de découvrir les fameux tickets d'or risquent finalement d'être des proies bien vite bazardées si elles ne font pas l'affaire. Mais Willy Wonka est aussi un artiste, et Tim Burton est fasciné par les artistes, il en est lui-même un, et c'est une chose qu'il adore mettre en scène. Tout comme Wonka, son style hors-normes ne fait pas l'unanimité, certains (comme moi) l'adulent, d'autres le détestent, sans qu'il existe vraiment de juste milieu. L'art a des conséquences, bonnes ou mauvaises (égocentrisme, incitation à la consommation, exploitation, industrialisation de masse, mais aussi réflexions sur le monde, construction de soi et créativité sans borne) et c'est également ce qu'évoque Charlie et la Chocolaterie. On retrouve la patte du réalisateur, autant visuellement qu'au niveau de l'humour, noir à souhait (comme le chocolat, il fallait bien que je vous la fasse, celle-là). Willy Wonka, incarné par un Johnny Depp méconnaissable, est d'ailleurs le genre de personnages auxquels je m'attache très rapidement, tout en nuances et en contradictions. Le petit Charlie contrebalance un peu toute cette froideur joviale, il s'agit d'un enfant doux et calme, l'exact opposé du chocolatier. Les deux vont pourtant se trouver de nombreuses similitudes, car c'est aussi un des sujets du film, celui des apparences. Derrière ses lunettes et sa tenue excentrique, Wonka est un homme mal à l'aise en société, un créateur génial mais très timide, presque associable. Je ne peux m'empêcher de voir un parallèle évident avec Tim Burton lui-même. Tout ceci est appuyé par la composition de Danny Elfman, qui semble très inspiré. Le générique totalement barré me séduit complètement à chaque fois (cette musique occupe d'ailleurs une très bonne place dans mon MP3) :


Ces nombreux niveaux de lecture n'empêchent pas Charlie et la Chocolaterie de rester un divertissement familial adapté à tous (et surtout aux parents, si vous voyez ce que je veux dire). Prévoir avec vous quelques trucs à grignoter, parce qu'à voir tout ce chocolat, on a plus d'une fois l'envie de se lever pour aller chercher à bouffer.

Afficher l'image d'origine

Afficher l'image d'origine



Pour aller plus loin : La conception et la naissance des Oompa Loompa


lundi 6 juin 2016

Correspondances de guerre.

Lorsque j'étais en seconde, j'avais du lire tout un recueil de lettres de guerre, et je me souviens avoir pleuré comme une madeleine pendant des jours (j'avoue avoir encore les larmes aux yeux, des années après, à la relecture de certaines). Ces mots, illustrant concrètement le vécu des soldats au quotidien, ont sans doute joué un rôle majeur dans ma compréhension du monde et mon rejet des extrémismes quels qu'ils soient. Et dans le contexte politique actuel, je dois dire que ce sujet revient particulièrement me hanter ces derniers temps. J'ai donc moi-même ressenti le besoin d'écrire une lettre fictive, qui sera sans doute complétée par d'autres bribes de récits ensuite (une fois n'est pas coutume, cet article va donc s'actualiser pas mal au fur et à mesure). Avant toute chose, je tenais quand même à partager avec vous quelques citations tirées de courriers réels, qui m'ont énormément marquée. A méditer ...

"Voilà quatre heures que nous sommes bombardés. On ne s'étonne même plus de ces conditions de vie artificielles, à peu près injustifiables, qui ne ressemblent à rien de notre vie et de nos pensées d'autrefois. Au milieu d’un désordre inguérissable, nous attendons sans rien pouvoir, sans rien imaginer, sans rien espérer, la fin de quelque chose que l'on nous a dit d'endurer. Nous sommes là, voilà tout. Nous sommes, tout court, sans heure et sans lieu humains."

"C'est malheureux de voir tant de victimes qui n'y sont que pour rien. C'est même honteux de voir cela. Depuis trente mois que je suis aux tranchées, je vois qu'il n'y a plus rien à faire. Il faut que l'on y passe tous. On n'a pas assez de misères de coucher dans l'eau, il faut encore se faire tuer ; mais j'en ai plus qu'assez. Du courage, je n'en ai plus ! J'en ai eu, maintenant c'est fini."

"Pendant toute ma vie, j'ai été heureux autant qu'on peut le rêver, autant, je crois, qu'on peut le réaliser et c'est vous qui m'avez tout donné. Je vous ai aimés de tout mon cœur, de toutes mes forces. Je m'en vais pour la plus belle cause : pour qu'en France on ait encore le droit d'aimer. J'espère être tombé face à la victoire. Moi qui aurais tant voulu ne jamais vous faire de peine ! enfin, puisque je ne laisse ni haines, ni dégoûts, que tout m'a semblé beau et m'a été doux. Je m'en vais encore heureux, puisque c'est pour permettre à d'autres de l'être."


Afficher l'image d'origine


"Ma tendre aimée,

Aujourd'hui samedi, nous sommes toujours positionnés à quelques kilomètres de Verdun, où nous avons perdu bon nombre de coéquipiers. La plupart sont morts sous les balles ennemies, tombés dans les tranchées à nos pieds, et les quelques autres ont fini par succomber au manque croissant d'eau et de nourriture. Notre bataillon s'est considérablement réduit, et je tente tant bien que mal de ne pas céder à la panique devenue si familière depuis quelques semaines. Nous n'avons rien mangé depuis deux jours, condamnés à nous repaître uniquement de l'eau boueuse des tranchées, en attendant mieux. Mon envie de te revoir me maintient en vie à chaque instant, et me donne la folie nécessaire pour affronter cette cruauté du quotidien. Parfois, je me demande si nos fourbes et invincibles adversaires ressentent aussi ce manque constant et viscéral de leurs proches. Pardonne ces pensées ma douce, mais il m'arrive même quelquefois (rarement) d'éprouver une certaine forme de sympathie pour eux : ne subissent-ils pas autant que nous les effets de cette guerre interminable ? N'ont-ils pas été contraints de se trouver là, contemplant leurs morts pourrir sur le champ de bataille, au nom d'une idéologie qui les révulse ? Ne désespèrent-ils pas autant que nous de pouvoir un jour enlacer les êtres qui leur sont chers ? L'horreur quotidienne me pousse à considérer les choses autrement, et fait naître en moi une empathie que je n'aurais jamais cru pouvoir éprouver à leur égard.

Cela va sans doute te paraître absurde, mais je n'aurais jamais autant écrit que durant ces jours interminables de combats et de misère. Je me découvre un plaisir immense pour l'écriture, seule liberté qu'il me reste encore au milieu des fusillades. Sans cela, j'aurais déjà sombré mille fois. Si j'ai le privilège d'en réchapper, je te ferai lire mes carnets, que tu n'auras sans doute pas la force de terminer ; j'en ai déjà rempli deux et de nombreux viendront encore. Peut-être même que j'aurais le désir de les faire publier ; penser mettre ma modeste contribution au service de l'humanité est une motivation immense. J'en ressens le vif besoin, il faut que je le fasse, que je dénonce cette horreur sans borne pour que jamais plus elle ne se reproduise. Oh, quelle utopie ! Dieu sait qu'il en faut pour survivre ici, heure après heure, jour après jour. C'est encore le seul rempart qui me permet d'éprouver un quelconque espoir en l'être humain.

Je ne pourrais même pas te décrire que ce nous vivons. Dans les jours meilleurs, certains camarades se noient, meurent de faim, sombrent dans la démence ; mais la plupart du temps, ce sont les obus et la mitraille qui disséminent notre équipe petit à petit. Nous ne pouvons pas les enterrer décemment, bien sûr, alors nous continuons à creuser de nouvelles tranchées, au milieu de ces cadavres avec qui nous avons tant partagé. Dans ce chaos, par dessus la chair pourrissante, nous ne faisons rien d'autre que de besogner mécaniquement, sans relâche, nous préparant aux prochaines hostilités, sans un regard pour nos alliés défunts. Et je retourne me battre pour toi, dans la fureur du désespoir. Pour les enfants que nous aurons un jour, pour la bague que je passerai à ton doigt et pour la maison que je t'offrirai de mes mains. Malgré mes pensées généreuses, toute compassion s'éteint en moi lorsqu'il me faut achever un soldat ennemi barrant mon chemin. L'instinct de survie, crois-moi, nous pousse à devenir aussi sauvages que les bourreaux que nous accablons.

En réalité, j'ai changé de manière terrible. La fraternité se succède à une violence sans nom, et à force d'émotions démesurées, je ne me sens plus que l'ombre de moi-même dans cette horreur sanguinaire. J'oscille sans cesse entre compassion et désir intense de cruauté, en équilibre instable, foudroyé par un état second de plus en plus fréquent. Comment puis-je être capable d'autant d'amour, et engendrer pourtant la destruction ? Je m'accroche désespérément à nos souvenirs heureux, à défaut de parvenir encore à être moi-même. Madeline, l'homme que tu vas épouser n'est définitivement plus semblable à celui que tu as connu. Je ne suis plus qu'un soldat aux vêtements tachés, aux poches sous les yeux, au teint blafard et à l'instinct animal. C'est d'ailleurs tout ce que nous sommes devenus : des bêtes, traquées et traquant à leur tour."

dimanche 15 mai 2016

Dude looks like a lady.

Ces dernières semaines, j'ai visionné plusieurs films sur lesquels il est désormais grand temps de faire le point, et je dois avouer que j'accumule un certain retard (pour ne pas dire un retard certain) dans mes critiques. Voici donc un article thématique sur la féminité au masculin, illustré par deux intrigues totalement différentes sur le sujet.


Mrs. Doubtfire :


"Si je chope le salopard de misogyne qui a inventé les talons hauts, j'le tue !"

Mrs. Doubtfire est la comédie familiale par excellence, adapté à toutes les tranches d'âges, pouvant faire marrer et émouvoir les jeunes et les moins jeunes. On y suit les aventures effrénées de Daniel Hillard, un père qui n'en fait qu'à sa tête et qui possède un âge mental à peu près équivalent à celui de sa fille cadette. Le jour où sa femme, excédée de cette situation, demande le divorce, il se rend compte qu'il risque tout perdre, y compris la garde de ses enfants. Il décide alors de tromper son monde et de se transformer en femme pour remplir le rôle de bonne à tout faire, assouvissant son envie de passer du temps avec eux, de leur apprendre des trucs, de trouver un sens à sa vie. Frôlant la schizophrénie, il va se remettre en question, se découvrir des qualités éducatives et culinaires insoupçonnées, développer des centres d'intérêt auxquels il était complètement indifférent quelques semaines plus tôt, mais également jouer avec la confiance des ses proches. Chaque personnage est incroyablement bien écrit, la psychologie de chacun est très éloquente sans pour autant tomber dans la caricature. Le thème est brillant, le dénouement est brillant, les acteurs sont brillants, les gags sont brillants et servent pour la plupart le récit (même si on échappe pas à quelques blagues pipi-caca gratuites). Peu de niaiserie, peu de cynisme aussi, une comédie simple, sincère : son but est admirable. Et ce sans jamais tomber dans un pathos insupportable.

On y retrouve un Robin Williams en grande forme qui se travestit en vieille gouvernante anglaise forte en gueule : c'est un pur one-man show. L'acteur se livre à un jeu ultra-convaincant (on a beau savoir qui se cache derrière le masque de Mrs. Doubtfire, on y croit !), mais aussi riche en émotions. Tantôt on se marre, tantôt on est de tout cœur avec cet homme. Oui, c'est bourré de bons sentiments, et pour une fois je m'en fous. Robin Williams s'offre une performance absolument géniale, et je ne cesse de me marrer devant les quelques extraits que je regarde régulièrement quand j'ai envie de me poiler un peu (mention spéciale aux scènes ou Daniel se change en catastrophe chez lui, à l'insu de sa contrôleuse judiciaire). Toutes les scènes avec Pierce Brosnan sont particulièrement tordantes elles aussi : rien que le fait de voir jouer James Bond dans un autre film que James Bond est amusant. 

D'un autre côté, le double-message est effectivement très adulte : le divorce des parents, la dure la réalité pour Daniel qui peine à retrouver du travail et un logement, les enfants qui ne comprennent pas le changement de leur cadre de vie confortable, sont des thèmes peu enfantins. Bien que le film date de 1994 (forcément un bon cru, il est né en même temps que moi), les sujets abordés sont de plus en plus d'actualité. D'ailleurs, la fin est particulièrement réussie, lorsqu'Iphigénie/Hillard laisse au spectateur des réflexions sur le divorce, les disputes conjugales, les relations entre ex, l'amour parental. En bref, je ne peux que vous le conseiller, c'est une histoire qui n'est pas moralisatrice, qui ne montre pas un happy-ending abracadabrant et tiré par les cheveux, qui ne donne pas dans la niaiserie ou le regret. C'est une excellente comédie américaine, drôle et très rythmée, limpide, sans lourdeurs. La présence de Robin Williams y est pour beaucoup, génie triste luttant pour rire et faire rire, ce qu'il réussit à merveille. Personnellement, je ne vois pas ce que je pourrais demander de plus, j'ai trouvé une comédie qui m'a enfin séduite de bout en bout !

Les tâtonnements plus ou moins esthétiques, aboutissant à la naissance de Mrs. Doubtfire. Plaisir des yeux garanti ... Ou pas.




Les garçons et Guillaume, à table ! :

Image associée

"Le premier souvenir que j'ai de ma mère, c'est quand j'avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : Les garçons et Guillaume, à table !, et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant : Je t'embrasse ma chérie. Eh bien disons qu'entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus."

Je partais avec d'énormes a priori négatifs concernant Les garçons et Guillaume, à table !, malgré le peu d'extraits que j'en avais vus et qui m'avaient relativement plu. J'ai eu vite fait de me dire qu'il faisait sûrement partie de ces boules puantes à éviter, à en juger par son affiche et sa bande annonce criardes. Pour s'y intéresser un minimum, il faut connaître et apprécier Guillaume Gallienne, la seule bonne découverte qui soit sortie de ce musée des horreurs qu'est Canal+. Un sociétaire de la comédie française qui, plutôt que d'imiter les plus grands ou imposer une mise en scène nombriliste, se dévoile face à la caméra dans un décor minimaliste, pour ne montrer que la qualité de son interprétation.

Guillaume, cadet d'une famille de trois frères se trouve aspiré par sa mère, à laquelle il voue un véritable culte. Lors des repas, celle-ci l'appelle en s'écriant : "Les garçons et Guillaume, à table !". En société, Guillaume laissait une impression bizarre qui embarrassait ses proches : pour tous, il était un homosexuel refoulé, excentrique et un peu incontrôlable. Aux yeux du monde, il est le petit dernier de la fratrie, adoré et chouchouté par sa mère, avec qui il vit une passion trop fusionnelle. Parfois cette maîtresse femme est à la limite de la manipulation, mais peu importe : il est docile, compréhensif, il ne se révolte pas et fait tout pour ne plus la décevoir. Ce n'est pas que Guillaume ait une préférence particulière pour les garçons, mais il ne peut pas lutter contre l'idée que les autres se font de lui et n'ose pas développer sa propre personnalité, conditionné par sa mère qui n'acceptera aucune rivale féminine dans la vie de son fils.

Voici un film que j'ai beaucoup aimé pour trois choses : son sujet d'une belle originalité, son humour grinçant et son interprétation exceptionnelle. Il évite ce tic de perfection insupportable qui pousse les réalisateurs à privilégier les effets spéciaux et le maquillage au profit de l'interprétation. Guillaume Gallienne n'a pas besoin d’artifice : pour passer d'un personnage à l'autre, c'est à peine s'il change de tenue. La transformation se fait simplement, dans le timbre de voix ou dans la gestuelle. Garçon maniéré, il a passé sa jeunesse à observer les femmes, pour en reproduire les comportements et les mimiques. Un atout supplémentaire, qui lui permet de se dédoubler à l'écran pour incarner les deux rôles à la fois : l'adolescent emprunté et la femme mûre. Ce que je craignais franchement, de peur que le film tombe dans le ridicule le plus total et que l'essai soit raté. Et non. Un comédien au cinéma, sans rien d'autre autour, il faut dire qu'on n'en avait plus l'habitude. Le cinéma, ce n'est trop souvent que des scènes mises bout à bout pour donner l'illusion de vrai, et j'avoue que l'inverse fait du bien. Vraiment.

C'est un carnet de souvenir, un carnet de souffrance, qui n'est fidèle à rien d'autre qu'à la mémoire et au besoin de tourner un vécu douloureux à la dérision. Mon seul bémol concernant ce film : la récurrence de certaines scènes inutiles et dignes d'American Pie, qui contrastent franchement trop avec l'aspect psychologique mis en avant dans l'ensemble de l'histoire. Mais cela ne concerne que dix minutes de film en tout, et heureusement. Une belle réussite, qui donne à réfléchir et qui fait parfois un peu froid dans le dos, quand même.

jeudi 5 mai 2016

"Mr Mercedes", ça roule plutôt bien.

Je l'écris sans honte, je considère Stephen King comme l'un des seuls vrais grands auteurs populaires mondiaux, c'est à dire quelqu'un qui sait raconter quelque chose d'intelligent à la portée de tous, sans pour autant tomber dans la facilité (même si son approche ultra détaillée de personnages parfois secondaires peut rendre quelques passages par ci par là un peu indigestes). Ici, on va pourtant à l'essentiel, et ce livre pourrait être résumé à "faire du Stephen King sans faire du Stephen King". C'est bien lui et, à la fois, c'est tout de même différent.

Afficher l'image d'origine

La couverture est assez sympa, s'ancrant directement dans l'esprit du récit, malgré le gros spoiler que peut déjà révéler le thème. Au moins, celui-ci n'est-il pas mensonger, contrairement à celui de Joyland, qui a carrément surestimé l'intrigue, créant une grosse déception chez de nombreux lecteurs. 

Dès le premier chapitre, King ne lésine pas sur les détails et sur la profondeur des personnages. On y plonge dans un coin d'Amérique comme tant d'autres, rongé par la crise économique, et notamment par le chômage. Pendant quelques secondes, j'ai craint la critique facile et inutile de notre société actuelle, dont pas mal d'auteurs peuvent être friands en ce moment, mais heureusement l'écrivain d'horreur n'est jamais loin. C'est qu'en prenant un bouquin, je ne veux pas avoir la désagréable impression de regarder le JT, je suis là pour me détendre et flipper, voyez-vous. 

Bill Hodges est un flic à la retraite, finalement assez classique dans le registre du polar, rappelant vaguement Harry Bosch dans la saga de Connelly ; en revanche, le tueur est un psychopathe fou furieux comme seul Stephen King sait les décrire. Néanmoins, l'horreur prend un visage très moderne, sur fond de piratage informatique et de déficience du lien familial. L'enquête piétine, le récit alternant alors entre les pensées de Hogdes et celles de Mr Mercedes. A travers la psychologie des personnages, Stephen King s'interroge encore une fois sur la folie d'un tueur, la dépression chronique d'une jeune angoissée, les idées suicidaires d'un vieux flic : qu'avons-nous raté ? Qu'aurions-nous pu faire pour éviter d'engendrer des milliers de Mr Mercedes ? Pourquoi notre vie semble-t-elle autant nous échapper à un moment ou à autre ? Quel est cet air du temps qui nous oblige à prendre des petites pilules de bonne humeur par dizaine ? Et d'un autre côté, une note d'espoir se remarque de plus en plus dans les chapitres finaux de ses œuvres, contrairement aux bouquins précédents qui ne se terminaient jamais vraiment dans la joie et l'allégresse.

J'ai également apprécié les références à Ça et Christine : ses premiers livres, ses plus grands succès ... Un retour aux sources parmi un changement de style radical. Pour ma part, j'avoue préférer Stephen King pour ses thrillers noirs et minimalistes, dépourvus de créatures étranges ou de paf paf boum boum avec des martiens. Mr Mercedes n'arrive certes pas à la cheville de Misery (sans mauvais jeu de mots), La ligne verte, Shining, ou encore Bazaar, mais reste cependant un excellent thriller tout plein de bonne tension. Cela dit, je ne peux pas m'empêcher de penser que l'idée d'une adaptation sur grand écran ait un peu titillé King et influencé le déroulé de l'histoire.

Un trailer récapitulant les œuvres majeures de l'écrivain avait même été mis en ligne à l'occasion de la sortie de Mr Mercedes :

vendredi 1 avril 2016

Cette année, Alice fête ses 150 ans.

S'il y a bien un conte mis à l'honneur en cette année 2016, c'est Alice in Wonderland. Les expositions, livres-hommages, dessins, clins d'œils et événements se succèdent, de quoi lui souhaiter dignement un joyeux non-anniversaire, qui était apparemment attendu au tournant.

Afficher l'image d'origine

Lewis Carroll, artiste photographe de son état, amusa le temps d'un été trois de ses "amies-enfant" avec l'histoire abracadabrante d'une petite fille tombée dans un terrier à la recherche d'un lapin. Suite aux caprices de l'aînée des fillettes, prénommée Alice, Lewis décida de lui fabriquer un livre qu'il relia, calligraphia et illustra lui-même tout à la main, offrant à sa jeune "amie" le premier et original Alice in Wonderland

Pour l'occasion, je vous ai également concocté cet article, ayant revu le film d'animation il y a quelques jours. Je dois dire que revoir aujourd'hui cette version m'a encore fait un tout drôle d'effet, même si je la connais quasiment par coeur, donnant l'étrange impression d'assister à un spectacle totalement frappadingue et surtout, à un monument tout entier voué à la défonce. Volontairement ou non (mais je pense que oui), le film regorge d'éléments rappelant la culture weed (c'est d'ailleurs sous ce terme qu'Alice se voit insultée par les fleurs surexcitées dans la version originale, si mes souvenirs sont bons). Ne pouvant pas vraiment retranscrire les messages subliminaux et politiques de l'oeuvre, Disney, en mixant un peu le Pays des merveilles et De l'autre côté du miroir, fait donc le choix de traduire la folie ambiante et pleine de non-sens de Lewis Carroll par une succession de personnages totalement hallucinés. Je comprends désormais pourquoi ce dessin animé était mon préféré étant gamine ... Dans Alice, il n'y a d'ailleurs ni gentils ni méchants, ce qui bouleverse beaucoup les grandes traditions des studios d'animation pour enfants (et c'est tant mieux). Dans un monde où tout le monde semble à première vue agréable et ouvert, Alice apprendra à se méfier de ces rencontres pourtant dangereuses. En effet, le Dodo la laisse se noyer sans même y faire attention, dans une scène de danse macabre malsaine. Le Lapin blanc, égoïste et surexcité, décide de brûler sa maison pour y cramer Alice devenue géante et coincée à l'intérieur. Le chapelier fou et le Lièvre de Mars finissent par la chasser en l'insultant. Le chien-balais, à première vue si inoffensif, perd Alice dans les bois sans faire attention un seul instant à sa détresse. La chenille au Narguilé l'agresse et la repousse, les fleurs se ruent sur elle pour l'étriper en la prenant pour du chiendent, et on lui raconte la fable des gentilles petites huîtres dévorées toutes crues par un morse. Or, si les cartes qui peignent les roses en rouge sont sensibles à la gentillesse de la jeune fille, elles finissent décapitées. Quand à la Reine, elle n'a pour seul but que de ridiculiser Alice puis de la faire exécuter. Voilà voilà. Chacun est finalement montré sous un jour angoissant et effrayant, à la fois amical et agressif. Alice tente désespérément de s'accrocher à ses bonnes manières et à son éducation, mais ce n'est pas toujours suffisant pour survivre.

Et les illustrateurs, dans tout ça, quel regard portent-ils sur ce conte ? En voici deux versions, l'une de Benjamin Lacombe, qui vient de sortir une magnifique édition, et l'autre de Rebecca Dautremer, illustratrice d'un album datant de 2010. Je vous invite à lire leur interview sur le site du Salon du Livre de Montreuil, ils y expliquent avec beaucoup de précision leur interprétation différente.



Pour le peu que j'en ai vu, les illustrations de Benjamin Lacombe ne sont pas sans rappeler ce côté sous LSD propre au film d'animation : Alice est ici une jeune fille pâle, mi-innocente mi-provocante, traînant avec elle un Monsieur Lapin aux yeux injectés de sang. J'espère me le procurer très prochainement, ayant déjà un très bon souvenir des Contes Macabres qu'il avait illustré il y a quelques années.

Afficher l'image d'origine

Afficher l'image d'origine

Une chose est sûre : quelle qu'en soit l'interprétation et l'idée qu'on en aie, Alice n'a pas fini d'étonner, de fasciner et de faire parler d'elle, encore un siècle et demi après.